Les escarpins

  Les cliquetis des ustentiles s'entremêlaient aux voix de discussions animées formant le concert d'un vendredi soir d'un bistro chic de ce quartier en vogue. Assis à une table jouxtant la vitrine légèrement givrée par l'hiver, un gentleman et une dame jaugent autour d'un bon repas l'intérêt qu'ils se portent l'un pour l'autre. C'est alors que le gentleman aperçut, tel un mirage, le reflet d'une dame passer de l'autre côté du miroir givrée, même ce floue reflet effaça d'un claquement de doigt toute l'attention qu'une seconde plus tôt il portait à la demoiselle assise devant lui. Envoûté par un parfum inaudible et irrésistible, l'homme se leva précipitement en lançant à peine une excuse et ramassa son manteau à la hâte et sortit du bistro le coeur battant la chamade, la peur le tenaillant que le mirage ne se soit déjà effacé au prochain tournant. Une fois dehors, il n'aperçu pas la mystérieuse silhouette, son coeur se serra de déception comme s'il avait tenu un billet gagnant entre ses mains et que le vent l'avait soufflé. Il poussa un soupire lourd de déception puis il entendit en cadence des talons d'escarpins sur l'allée dallée du quartier huppé: Peut-être était-ce elle? Armé de ce nouvel espoir, le gentleman marcha avec hâte à l'intersection de ses espérances et ses désirs. Il y parvint dans des secondes qui lui eurent parus des heures et le mirage ce révéla à lui, là sur le trottoir: une silhouette drapée d'un élégant manteau au collet de fourrure avançait dans la pénombre telle l'étoile polaire attirant à elle tout les voyageurs. Il avança vers la demoiselle, comme hypnotisée par le rythme de ses talons d'escarpins sur les briques du trottoir, laissant paraître la seule parcelle de chaire visible de ce grâcieux monument de velour: ses chevilles qui se détachaient sous le long menteau à chaque enjambée.   Comment l'approcher? Que dire? Que faire? Et elle arriva au pied d'un long escalier extérieur légèrement glacé et couvert de neige: Voilà ma chance! Ce dit-il.     Derrière elle, la demoiselle drapée dans son manteau de fourrure s'aperçut aussitôt qu'un gentilhomme marchait sur ses pas, elle reconnaitrait parmi des millions cette démarche oscillant entre la confiance et l'hésitation précédant la charge maladroite d'un prétendant. Elle atteint une volée de marches qui ne lui poserait aucun problème, mais l'espoir est faites de mensonges; donc elle ralenti le pas, et hésita à enjamber l'escalier. Aussitôt un bras gallant s'offrit à elle et elle lui répondit en sortant de son arsenal un sourir reconnaissant et un petit ''merci'' sur un ton candide; voir ingénue. Le gentilhomme fut alors convaincu d'être transformé en chevalier, le piège venait de se refermer et au bras de son servant acquis, la belle gravit les escaliers en terrain conquis. Arrivée au sommet de l'escalier, alors que son chevalier était sur le point de briser la magie avec une médiocre tentative pour la convaincre de poursuivre son chemin à ses côtés, elle posa un index sur sa bouche et passa d'un claquement de doigt de l'ingénue à la femme fatale, faisant vivre une montagne russe d'émotions à sa proie. Cuisiner un coeur par la surprise était précisément ce qui était la recette parfaite vers un repas qu'elle appréciait bien épicé.   La belle attira contre elle le chevalier qui ne se fit pas prier pour lui offrir un baisé aussi fougueux qu'éphémère, mais même s'il s'agissait de son centième premier baisé; ils étaient toujours aussi bons (enfin presque). Afin d'alimenter le feu, elle se lova contre sa proie qui, se croyant en train de vivre un rêve, s'abandonna complètement à elle et elle... se délectait de chaque gloussement, de chaque doigts se crispant sur ses reins mimant des invitations muettes; mais O combien chargées d'intentions, de chaque inspiration toujours plus insistantes: il perdait le contrôle un peu plus à chaque seconde et c'est ce qui fit gronder de plus en plus fort La Bête alors que le cou dévoila le fleuve d'une carrotide enflée d'émotions, le peu d'équilibre qu'il restait à la barque de ses sensations chavira dans cette rivière vermeille et elle y planta ses crocs et elle fut aussitôt envahie par la chaleur fugace, mais non moins fulgurante de sa proie. Ses crocs et bientôt tout son corps battant au rythme endiablé de celui de son chevalier qui, perdu dans les méandres de ses envies, avait confondu la morsure dans le fruit interdit qu'il était devenu avec ses propres désirs charnels et crus.   La réalité se rappela alors à lui avec la froideur de l'hiver, la force d'une pelle en plein visage et la rapidité d'un pied qui glisse sur un trottoir glacé et qui pris la forme d'une magistrale gifle qui claqua sur sa joue avec toute la puissance de l'humiliation. Abasourdi, oscillant entre le désir devenu inconfort en un instant; le mirage s'était déjà évanouit entre ses mains comme du sable ayant glissé entre ses doigts. Il fallut bien quelques secondes avant que les hurlements de la femme qui l'accompagnait en ce qui semblait déjà à une autre époque ou plutôt, dans la triste dimension de la réalité.   Plus loin la dame continuait son chemin, essuya avec grâce et discrétion le petit témoignage de son dernier repas qui subsistait sur ses lèvres qui s'ourlèrent d'un sourire satisfait... rien de mieux que du désir en entrée; du plaisir en plat principal et du scandale pour dessert.

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