Nobody Sue
Trame sonore de la scène
Un trentième hiver sur terre sur, un vingt-cinquième à rentrer, comme à chaque matin, à l'usine, sans fin du soir au matin et du matin au soir, une routine qui paraît éternelle tellement elle est toujours pareille et que la petite couturière en confond les aiguilles des horloges avec celle de ses machines. Encore ce matin, sortant de son cloaque qui pu la pisse et la sueur en été et qui sent le froid et la misère en hiver; elle s'engage sur une rue boueuse resserrant son vieux manteau troué sur son corps frêle, marchant dans les pas des autres petites couturières qui se rendent comme elle à l'usine de grands-mères à petites-filles par dizaines, par centaines... par milliers. Une grande masse informe et anonyme, éphémère et écrasée, silencieuse et aux joues creuses ce comptant encore chanceuse de toucher les quelques sous que daignent bien leur jeter les patrons de leurs balcons alors que d'autres mendient le long des rues qui les conduisent à l'usine... celles qui ont perdu un doigt, une main ou un bras derrière une machine et devenu inutile ont été jeté à la rue pour être remplacé une autre petite couturière qui, comme les autres, se fera un peu plus chaque jour siphonner son âme en échange d'une pitance qui pourra à peine lui assurer une survivance.
Le sifflet à vapeur crache son cri annonçant le début d'un autre quart, la petite couturière prend sa place derrière sa machine alors que, sans un mots, celle qui l'a précédé ce retire sans que la machine ne s'arrête un instant, le temps de la précieuse machine ne doit pas être gaspillé. À gauche et à droite, sur des dizaines de rangs et de colonnes, une infinité de métier à tisser essaiment un bruit assourdissant assommant toutes pensées qui pourraient tenter de s'envoler dans un moment fugace pour figer les petites couturières à leur besogne: tisser des étoffes, le nouvel étendard de la classe ouvrière: du jeans des kilomètres de jeans qui sortent de l'usine pour être taillés à d'autres étages de la fourmilière ici en pantalons ou là salopettes afin qu'ailleurs, d'autres travailleurs puissent enfiler leur uniforme d'humiliation pour passer leur vie anonyme alignée derrière une machine.
Après une douzaine d'heures dans le cliquetis des engrenages, le grincement des pistons qui font tourner les machines et le cri des des straps de caoutchoucs qui s'échinent, le poids de dizaines d'années de silence fend l'âme de la petite couturière, et se meut en colère sourde alors qu'elle écrase les pédales de son métier avec ferveur souhaitant voir les straps dérailler, les engrenages sauter, les pistons finalement exploser pour que sa machine devenue une extension de sa misérable existence se brise enfin et alors le contre-maître passant par là lui cracha une ultime insulte qui fut le dernier clou au cercueil de son silence et la petite couturière se leva et hurla en direction de la lointaine fenêtre qui cachait le patron: '' MERCI BIEN MON BON MAÎTRE, MERCI BIEN MON MONSIEUR DE M'EN DONNER TOUJOURS DE QUOI PISSER PAR LES YEUX! ''puis en se tournant vers les autres petites couturière elle hurla: ILS NE PARLENT PAS POUR NOUS, ILS NOUS VENDENT L'ÂME ET C'EST TOUT! ILS SONT BONS QU'À PROMETTRE ET NOUS BON QU'À NOUS FAIRE METTRE! OUAIS L'AIGUILLE C'EST PLANTÉE DANS LE COEUR DES COPINES! JETEZ LES DÉS À COUDRE, L'AVENIR C'EST CASSÉ! LES LACETS À NOS COEURS, LES CHAÎNES À NOS CHEVILLES! ''
Puis, derrière la lointaine fenêtre cachant le patron, un homme anonyme dit à un de ses serviteurs anonyme: '' Elle ''
5 minutes plus tard, on apporta la petite couturière dans son bureau, elle serrait rageusement ses poings et un homme la poussa sans ménagement devant l'homme qui, après que la porte du bureau fut fermé, la vida cul sec de sa colère et le lendemain, alors que la masse informe des petites couturières retournaient au travail, on retrouva le corps anonyme d'une petite couturière qui semblait avoir été jeté du toit de l'usine, l'on dit qu'elle s'était suicidée, ou libérée et le sifflet à vapeur annonça le début d'un autre quart de travail.
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