Grande séparation des Dol-Vel
Lendemain a trouvé l'élu de la prophétie. Maman dit que c'est le pire scénario possible. Tante Eudokia est d'accord. A part Yevdokim, en fait, tout le monde a l'air attéré. Sauf qu'il est aussi le seul à travailler sur l'Autre Côté.
« Alors, ça réfléchis fort ? » Yevdokim arrive derrière mon bureau. Ses cheveux noirs tombent devant ses yeux. Depuis combien de temps il n'est pas allé chez le coiffeur ?
« Irisa t'a encore rejeté ? C'est pour ça que tu viens m'embêter ? » Je le dévisage.
« Très drôle. » Il applaudit. « Ermolai Karev, d'Alverswiller, demande à te parler. » Il désigne son téléphone.
« Alver-quoi ? C'est quel secteur, ça ? » A tous les coups, c'est perdu en grande campagne.
« Alverswiller, dans le secteur de Morschwihrbronn. » Il soupire, passant une main dans ses cheveux. « C'est le secteur de deux de tes équipiers, tu sais ?
_ Et qu'est-ce que j'en ai à faire, de leur secteur. » Je grogne.
« Va sur le visio. Tante Eudokia fait le dîner. On t'attends. » Il hausse les épaules et s'en va, traînant des pieds.
« Passe le bonjour à Irisa ! » Je ferme derrière lui.
Généralement, Renouveau prévient ses agents à l'avance. Même les apprentis ne sont pas contactés à la dernière minute, comme ça. Est-ce que c'est un coups de Yevdokim ? Est-ce que c'est urgent ? Quelque chose, serré dans ma gorge, penche pour l'option 2.
Quoi que ce soit, Clément en saura plus que nous.
L'ordinateur se déverouille vite. Katumbi a déjà laissé le lien Zoom. Je clique. La page charge. Mon coeur se serre. Puis les visages remplissent l'écran.
Ermolai Karev est un homme d'au moins quarante ans, sinon cinquante. Son visage osseux est mis en avant par une certaine minceur, qui encercle une pomme d'adam prohéminente. Ses yeux enfoncés et sa mâchoire trop dessiné lui donnent un air de voyou.
« Permettez-moi de supposer que vous êtes Olena Stanislov. » Il plisse les yeux.
« Ouais, manque plus que Luc. » Nanami s'adosse à sa chaise noire. Sa chambre a l'air entièrement vide, derrière elle. Est-ce qu'elle a tout rangé exprès ?
« Est-ce qu'on sait pourquoi on est là ? » Ma propre voix tremble, comme une traîtresse. Je ravale une grimace.
Katumbi hausse les épaules, alors que Clément se mord si fort l'intérieur de la joue que ça forme un creux. Nanami secoue la tête, sa queue de cheval droite balayant l'air.
« Je tiens à m'exprimer auprès de vous tous en une fois, cela sera plus simple. Ainsi, j'adresserais chaque question une fois seulement. Vous devez savoir comment je fonctionne, désormais. »
Je grimace. On a déjà eu un monsieur Karev ? Peut-être que j'étais malade ? Peut-être qu'il s'est noyé entre Lenka Blinova et Yuliy Olegovich... je devrais suivre mieux que ça !
« Olena a une petite mémoire. » Clément ricane.
« Ne soyez pas si dur. Il est évident que notre dernière entrevue remonte à trop longtemps. D'après le dossier que l'on m'a transmit, vous avez été très actifs. En outre, la croissance a eu le temps de vous rendre méconnaissable.
_Sauf que vous avez toujours la même tête. » Katumbi sourit de toutes ses dents.
C'est ce moment que choisit Luc pour apparaître. Un grand poster prend tout l'espace derrière lui. Ses draps représentent un film Marvel, et son lit est couvert de goodies de super héros. Le vieux dessin bizarre de petite fille et presque entièrement caché, mais un coin colorié en orange dépasse derrière une branche de groot.
« Monsieur Crévoizier, nous n'attendions que vous. » Ermolai se redresse. Mon coeur accélère. Clément attrape un jouet à tortiller.
« Vous avez été choisi pour mener à bien l'opération Pé Oh Air T'es Euh. » Ermolai hoche la tête. « Vous êtes priés de rejoindre mon secteur, pour être scolarisés au collège Marie-Anne Pierrette Paulze Lavoisier. » Il hoche la tête.
« On doit changer de collège ? » Et l'école adaptée ? Comment je dois trimballer mon fauteuil jusqu'au fond de l'Alsace ?
« Luc Crévoisier et Clément DeL'Aume sont déjà sur place. Les autres devront s'accomoder, ou être greffés à une autre équipe. » Il hausse les épaules, comme si de rien n'était.
La réalisation frappe comme un coup de tonnerre. Les mots sont embrouillés dans un entremêlement bordélique d'informations inutiles. Il sera prof principal. On sera dans la même classe. Des aménagements seront mis en place. Cela dit, pas de rampe, pas de moi dans le tableau.
Je déglutis difficilement. Se sentir pâlir, c'est un des pires trucs. Quitte à être dévasté, on pourrait pas avoir un peu d'intimité ? Mes yeux brûlent. Ils enflent, c'est ça ? Ils doivent le voir.
« Olena ? » Le visage de Clem se décompose. Il penche la tête sur le côté, ses cheveux platine tombant par-dessus son serre-tête.
« Je ne serais pas en mesure de vous suivre. » Je hoche la tête. « Je vais contacter l'autre équipe. Je vais... je vous laisse poursuivre la réunion de votre côté. » Je ferme la fenêtre, d'un clic. Leurs cris sont avalés par le silence, brutal.
La pièce est plongée dans le froid placide de l'informatique. Mon corps entier est secoué de frissons.
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