Préface in Les arènes d'Istria | World Anvil
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Préface

12 mars 2091 - Laboratoire de recherche numéro 6, Zurich, Suisse - 9:00   "Le 2169ème groupe de colons a enfin quitté la Terre dans une autre mission couronnée de succès, une fois de plus les étoiles sont à nous !" Ces mots ainsi que la douce lumière matinale annonçant le printemps suffirent pour la réveiller malgré le peu d'heures de sommeil dont elle avait bénéficié. Lentement et difficilement, elle se redressa et ouvrit petit à petit ses yeux bleus clairs qui se posèrent immédiatement sur la télévision. Encore une mission spatiale réussie, et de plus en plus de gens quittaient la Terre pour s'en aller vers les nouveaux horizons découverts par l'humanité. Cela l'attristait. Après avoir fait de la Terre un enfer ennuyeux, voici que tous prenaient la fuite. Sur ce, elle se leva du lit en prenant bien garde à d'abord poser le pied droit au sol, afin de "ne pas se lever du pied gauche". C'était une blague que lui faisait sa mère étant petite, et elle en avait pris l'habitude. En y repensant elle esquissa un petit sourire. La jeune femme se rendit devant son frigo et commanda un cappuccino. Alors que le mécanisme se mettait en marche dans des bruits métalliques, elle se dirigea vers la salle de bain et se planta devant le miroir. Elle tenta tant bien que mal de remettre ses cheveux noirs en place, sans succès. Le miroir s'alluma, et une interface y apparut.   "Bonjour Athéna ! Bien dormi ? " s'exclama une voix féminine et joviale venant du miroir. Tout en examinant les défauts de sa peau ainsi que l'état de ses dents, l'intéressée répondit d'une petite voix,   "Bien sur, comme toutes les nuits bien sûr, 3 heures de sommeil me suffisent amplement !" C'était faux, elle était épuisée. "Tu m'allumes la douche ?" L'IA s’exécuta, et un jet d'eau chaude jaillit dans le cube de verre situé à la gauche d'Athéna. Elle enleva ses habits sales de la veille qu'elle avait gardé pour dormir, et entra dans la douche. L'eau chaude lui donna des frissons et finit de la réveiller. Cela faisait plusieurs mois qu'elle mettait son sommeil de côté pour son travail, et elle commençait à le ressentir physiquement. Sa peau devenait pâle et elle maigrissait à vue d’œil, sans parler de ses cernes prononcées qui venaient ternir son beau visage. Mais alors qu'elle finissait de se sécher, elle se dit que le jeu en valait la chandelle. C'était l'oeuvre de sa vie, elle avait tout sacrifié, son temps, son sommeil, sa santé, ses amis, ses économies mais si elle réussissait sa vie en serait changée. Et finalement, après tant d'efforts les projecteurs seraient enfin braqués sur la Terre au lieu de se tourner vers les étoiles. C'était son rêve, depuis toujours. Le frigo émit un bip sonore qui la sortit de ses pensées.   "Athéna, votre café est prêt !" s'exclama l'IA toujours avec ce ton jovial qui faisait sourire la jeune scientifique. Depuis le début de son projet, Tara, l'IA représentait la seule interaction "sociale" qu'elle avait.   La sonnette retentit, et le visage de l'huissier apparut en gros plan sur l'écran d'accueil. "Sans le compter lui" pensa-t-elle en levant les yeux au ciel. Elle s'habilla rapidement d'un peignoir et but une grande gorgée de son café pour se donner du courage. Elle grimaça, il était trop fort. Elle s'éclaircit la gorge, puis lança d'une voix forte et enrouée par le sommeil qui contrastait tant avec la voix douce et timide qu'elle avait d'habitude qu'elle se demandait presque si c'était réellement elle qui prononçait ces mots :   "Tara, ouvre la porte". L'IA s'exécuta et au fur et à mesure que la porte en verre fumé coulissait sur le côté la silhouette de l'huissier apparaissait. Toujours habillé dans son costume noir typique des années 2000 de son chapeau melon et de sa valise inutile qui étaient des objets "de style", il arborait son grand sourire habituel qui dévoilait ses gencives et ses dents parfaitement entretenues. Sa barbe plutôt courte était étonnamment régulière et ses yeux bleus cristal se plongèrent dans ceux d'Athéna alors qu'il répétait comme à son habitude :   "Bonjour Athéna, comment vous portez vous ce matin ? Comme d'habitude, je viens récupérer le loyer !" Il l'avait d'un ton si heureux qu'Athéna serrait les dents. Elle savait que c'était son ton naturel, mais elle ne pouvait s'empêcher d'imaginer qu'il était satisfait de prendre l'argent des gens, et plus précisément son argent à elle. D'un geste de main elle l'invita à rentrer. Il s'exécuta et posa ses affaires sur le porte manteau vide. En effet, tous les vêtements de la scientifique étaient comme jetés dans le petit studio, en boule par terre, entre les couvertures du lit ou encore comme cachés sous un meuble. Le petit couloir d'entrée débouchait directement sur la pièce principale du logement qui servait à la fois de chambre, de salon, de salle à manger et de cuisine. Entre les assiettes sales, et les plats réchauffés au micro-onde qui n'étaient même pas finis, ou encore les draps qui empiétaient sur le plan de travail, Athéna vivait vraiment dans un fouillis indescriptible. Pourtant le logement initial avait tout pour être charmant, une petite entrée avec de la place pour ranger ses vêtements et ses affaires, puis une pièce à tout faire avec une grande baie vitrée bordant la droite du lit double, ce qui rendait le studio très lumineux. La moitié de la pièce étant occupée par ce lit et l'autre moitié était occupée par une petite table en verre avec une armature en acier pour manger, un frigo intelligent et un plan de travail avec assez de place pour faire n'importe quel plat. La télévision elle, était accrochée au mur, c'était un nouveau modèle holographique très performant avec un son optimal. Et toute cette pièce était baignée dans une ambiance vivifiante et lumineuse donnée par les murs blancs et gris clair. La salle de bain aussi n'avait rien à se reprocher. Un lavabo, une douche cube intelligente en verre, un miroir IA et des toilettes ; Et pourtant quand on voyait dans quel état Athéna avait mis ce studio après 4 mois de vie intensive dedans, il était difficile d'imaginer la fraîcheur initiale du logement. L'huissier scruta la jeune scientifique. Avec ce mode de vie, malgré ses simples 26 ans, elle en paraissait au moins 40. Son visage était anéanti par la fatigue, ses yeux bouffis et sa voix rauque en témoignaient, de même que ses cheveux noirs en pagaille. Il comprit tout de suite qu'elle venait de se réveiller en voyant son peignoir rapidement enfilé qui était de travers et qui laissait apparaître la plupart de ses formes. C'était vraiment une belle femme. Elle le sortit de sa réflexion :   "Tu veux quelque chose à boire Lorenzo ? " Elle pointait le frigo. Il dit :   "Non très peu pour moi, j'ai déjà eu mon café ce matin, et puis je ne resterai pas longtemps, par contre toi, tu as l'air d'avoir vraiment besoin du tien". Elle lui lança un regard noir alors qu'elle prenait une gorgée de café avant de grimacer. Il était vraiment beaucoup trop fort. Elle détourna le regard, il continua :   "Athéna, ça fait déjà 4 mois que tu vis comme ça et le projet ne donne rien de concluant. Regarde toi dans le miroir, tu vois très bien que ça ne va pas bien, que tu te fais du mal. Tu ne peux plus continuer comme ça !" Elle se retourna d'un coup vers lui :   "Je pensais que tu n'étais la que pour me demander mon loyer ? Mais maintenant tu t'intéresse à ma vie ?" Il soupira et la regarda d'un air compatissant.   "Athéna, je passe toutes les semaines récolter le loyer et à chaque fois que je viens ici, je vois ton état se dégrader. Il faut bien que quelqu'un s'occupe de ta santé puisque tu ne le fais pas toi même." Le visage de la jeune femme s'assombrit, elle se tourna vers la télévision qui louait encore les succès des missions spatiales.   "De toute façon, il ne me reste plus qu'une semaine, après ça, je n'aurai plus l'argent de payer le loyer et tout s'arrêtera. C'est ma dernière semaine Lorenzo, la plus importante de toute ma vie. Je n'ai pas le droit de rater mon coup." Elle avait prononcé chaque mot comme si elle les avait réfléchis pendant des années, et Lorenzo comprit tout de suite qu'Athéna n'allait pas pouvoir être raisonnée. Elle allait investir chaque souffle de sa vie dans les jours qui suivraient. Au final il fallait peut-être la laisser aller au bout de son projet, pour son bien psychologique mais aussi parce que Lorenzo était curieux de savoir ce que pouvait donner cette idée farfelue. Et puis il croyait en Athéna et en ses capacités ; c'était une génie. Il esquissa un léger sourire et se dirigera vers la porte :   "De toute façon je sais que je pourrais pas te faire changer d'avis, investie comme tu es." Il récupéra sa valise et son chapeau, et alors qu'il remettait ce dernier sur ses cheveux bruns, il lança un regard perçant et plein d'espoir à la jeune scientifique. "T'as intérêt à le réussir ton projet." Puis il tourna les talons et sortit du studio. "Tara, ferme la porte." finit-il. Et la porte se ferma, laissant Athéna seule, perdue dans sa propre réflexion. Quel étrange personnage ce Lorenzo, mais au final, il avait raison. Elle avait intérêt à réussir. Elle se hâta de s'habiller et mangea rapidement une barre chocolatée pendant qu'elle mettait son manteau. Ainsi cinq minutes après le départ de l'huissier, elle était déjà prête et fermait la porte derrière elle alors que Tara lui souhaitait, d'une voix lointaine, une bonne journée. En sortant, elle se retrouvait dans l'entrepôt qui lui servait de laboratoire. En effet son studio n'était qu'un ancien bureau réaménagé de l'ancien propriétaire. L'immensité de l'entrepôt contrastait avec la petite taille de son studio. Celui-ci devait faire au moins une quinzaine de fois son logement, ce qui devrait ainsi lui fournir largement assez de place pour mener ses expériences, et pourtant elle utilisait la totalité du bâtiment. Mais comme l'entrepôt était plus spacieux, il y faisait aussi beaucoup plus froid, et son col roulé noir ne suffisant pas, Athéna se mit à frissonner alors qu'elle se dirigeait vers son plan de travail. Elle s'assit sur sa chaise de bureau qui flottait par magnétisme au dessus du sol, et s'attela à la tâche. Elle alluma son ordinateur et ouvrit tous ses fichiers. Comme chaque jour, pour se motiver, elle s'énonça ce qu'elle devait accomplir aujourd'hui. Elle se répéta alors ; "Ça fait un mois que je travaille sur le clonage humain selon la méthode du laboratoire qui l'a réussi pour la première fois, mais je n'arrive toujours pas à rendre mon clone stable neurologiquement avec les informations nerveuses que je lui donne." Elle soupira "Et comme tous les jours depuis trois semaines, je dois essayer d'y arriver". Alors que les échecs s'accumulaient sur les derniers jours, elle en venait souvent à se demander si ce qu'elle essayait de faire n'était pas impossible. En effet, l'humain avait réussi à se cloner, et à créer un tout nouvel être humain, une toile blanche prête à être décorée. Mais ce qu'elle essayait de faire, c'est que la toile naisse colorée, colorée de souvenirs et de sentiments artificiels, elle voulait que son clone se réveille comme s'il avait déjà vécu toute sa vie, et plus que tout, qu'elle puisse choisir elle même de la vie qu'il ait vécu. Cela semblait compliqué et ça l'était. A chaque fois qu'elle essayait, le cerveau de son clone était noyé d'informations, et soit le sujet sombrait dans la folie, soit simplement décédait d'une surcharge neuronale. Elle pris une grande inspiration et commença à taper des lignes de code. En effet, pour créer les souvenirs, elle utilisait du code, de l'information, qu'elle transférait ensuite directement dans le système neuronal responsable de la gestion de la mémoire et ainsi faire agir ces fausses informations telles de vrais souvenirs. A chaque fois elle réduisait le nombre d'informations contenues dans chaque souvenir afin d'espérer réduire la charge neuronale qui lui faisait défaut, mais aujourd'hui elle voulait tenter quelque chose de différent. Pourquoi, au lieu de réduire la quantité d'information transmise elle ne dilatait pas celle-ci sur un intervalle de temps plus long ? Elle avait donc décidé de réduire drastiquement le débit de transfert, augmentant de ce fait la durée du processus. Pour tester cette technique, elle était en train de créer une scène simple ; Le clone était en train de prendre un café, calmement assis dans son canapé devant une émission télévisée. Une fois le souvenir créé, elle initialisa le transfert nerveux. Pour suivre le processus, elle se leva de sa chaise et enfila sa blouse et ses lunettes de sécurité. Elle suivit le câble de transfert qui partait de son ordinateur à travers la moitié du laboratoire, traversant des étendues de verreries, d’électronique en morceaux et de feuilles froissées. Elle arriva enfin à la zone de clonage. Elle avait commencé son projet par la création d'une quantité ridiculement grande de clones, ainsi plus d'une centaine d'incubateurs peuplaient cette section, et tous abritaient un clone différent. Elle s'approcha du sujet #225 et brancha le câble de transfert à son incubateur. Le liquide conservateur dans lequel le clone reposait s'anima d'une lumière bleutée causée par l'allumage des branchements neuronaux. Elle ne savait pas combien de temps allait prendre le transfert avec la dilatation de l'information qu'elle avait mis en place. Peut-être quelques heures, mais peut-être quelques jours, il fallait donc qu'elle s'installe. Elle récupéra une chaise d'un bureau proche et s'assit dessus, bras croisés, et le regard fixé sur l'incubateur alors que le corps du clone commençait à s'agiter. Elle était stressée, extrêmement stressée, tout comme le jour précédent et tous les jours avant celui-ci depuis le début de son projet. Elle jouait sa vie sur ces expériences, elle avait tout misé. Le regard de la scientifique arpentait tour à tour l'interface de l'incubateur et le visage du clone, en espérant ne pas voir celui-ci pris de spasmes, ce qui signifierait un nouvel échec cuisant. Les heures passèrent, et Athéna ne pouvait pas se résoudre à quitter l'incubateur des yeux. Rapidement, elle commença à fatiguer. Rester concentrée aussi longtemps avec la fatigue accumulée sur les dernières semaines ne lui faisait certainement pas du bien, et ses paupières devenaient lourdes. Plusieurs fois, elle faillit s'endormir mais se rattrapait de justesse en se raccrochant au clignotement régulier des implants neuronaux. Puis, finalement, après quelques heures de combat acharné, elle succomba au sommeil, s'affalant ainsi sur sa chaise, et laissant son expérience sans surveillance.   Des bruits d'éclaboussures tirèrent Athéna du lourd sommeil qui l'avait emportée. Lentement, elle ouvrit ses yeux lourds de fatigue. Sa vision troublée, elle ne voyait que des lumières de couleur plongées dans le noir. Les voyants, c'était les voyants, ils étaient allumés. Tout à coup elle fut prise d'une poussée d'adrénaline ; le transfert était terminé ! Elle ouvrit les yeux et se releva brusquement de sa chaise. Elle fut pris d'un vertige qu'elle ignora complètement, portée par l'excitation de voir le résultat de son travail. Lorsqu'elle vit ce qu'il en était elle fut prise de panique. Son clone, baignant toujours dans le liquide conservateur était pris de spasmes tels une crise d'épilepsie. Tous les muscles de son corps étaient crispés et les veines saillantes ainsi que son allure squelettique lui donnaient un aspect terrifiant. Athéna était dévastée devant ce nouvel échec. Elle soupira et commença à s'éloigner de l'incubateur contenant la preuve de son incompétence, ainsi que l'espoir qui lui restait. Mais alors qu'elle sortait de la zone clonage, elle entendit un bruit de verre brisé suivi d'un écoulement d'eau. Elle se retourna prise d'un sursaut et quelle ne fut pas sa surprise en voyant sa création à quatre pattes sur le sol, nue au milieu du verre brisé, haletant, et recouvert de liquide gluant. Il releva les yeux et dévisagea Athéna d'un air apeuré. Ses lèvres tremblantes de froid balbutièrent pendant quelques secondes avant de s'articuler : "Je... Je ne comprends pas, j'étais en train de prendre un café chez moi, et... Il éclata en sanglots d'incompréhension en se rendant compte dans quelle situation il était. Athéna elle était sidérée. Il avait énoncé exactement le souvenir qu'elle lui avait transféré. Elle resta muette pendant plusieurs minutes, le silence n'étant ponctué que par les sanglots irréguliers du clone qui tentait tant bien que mal de se relever en évitant de se blesser sur le verre. Puis elle réalisa, elle réalisa que ce clone malade et en détresse représentait l'oeuvre de sa vie. Le choc la força à s'asseoir, et elle sourit de bonheur ; Elle avait réussi.

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