L'Auron

C’est dans les profondeurs de Vertoile que l’agile auron a vu le jour. Si son origine exacte n’est pas connue, les cenns s’accordent à dire qu’il pourrait venir d’une région autrefois couverte par la brume, tant son apparition fut soudaine sous les canopées parcourues par le peuple de la forêt. Il est cependant désormais parfaitement intégré à leur culture et employé pour de nombreuses tâches, des plus nobles aux plus ingrates.    

Biologie

Physionomie

Si l’auron est immédiatement identifiable en tant que reptile, grâce à ses écailles aux dimensions et couleurs variées, ses membres souples, sa gueule allongée et son immense queue, il se distingue surtout par la double paire de cornes d’écailles très rigides qui ornent l’arrière de son crâne. Leur orientation très allongée ne lui est d’aucune utilité pour se défendre, ni pour guère d’autre chose que se gratter la nuque. Elles sont néanmoins indispensables aux bébés pour percer leur coquille.   À la base de ces cornes pendent deux longues bandes de chair bleues particulièrement fines, appelées séricules. Elles s’avèrent bien trop fragiles pour servir de rênes, et l’auron se montre de toute manière très farouche à l’idée qu’on les lui touche.   Contrairement à la plupart des autres reptiles connus, il possède un cou massif, pratiquement aussi long que son corps. Celui-ci possède une grande souplesse malgré son volume et lui permet de retourner la tête à l’opposé de son corps, ou de le vriller d’un tour complet. Il arbore une large gorge, souvent de couleur vive, qui abrite le venin qu’il peut projeter. L’organe lui offre également une large gamme de vocalises, rivalisant avec les oiseaux les plus mélomanes de Vertoile.   Ses quatre membres anguleux sont terminés par des pattes à trois épais doigts, dont un opposable, qui lui offrent une préhension sans égale dans les forêts touffues et lui permettent de se suspendre à une seule d’entre elles dans à peu près n’importe quelle position.   Enfin, sa queue puissante, qui peut s’avérer aussi longue que le reste de son corps, se termine en une fine pointe servant de fouet.   Ses couleurs varient en fonction de son alimentation. L'éventuel changement de couleur s'effectue sur deux semaines en moyenne. Comme la plupart des êtres vivants dans le Refuge, l'auron est bioluminescent dans l'obscurité.    

Capacités et limitations

Ses pattes puissantes mais flexibles lui permettent de grimper jusqu’à la verticale sur pratiquement n’importe quelle surface avec aisance. Les arbres sont pour lui un terrain de jeu, du moment que la canopée est assez développée pour supporter son poids. De plus, sa souplesse lui permet de ramper le long des parois et des branchages pour mieux s’y maintenir. Bien qu’elle soit quelque peu préhensile, il préfère utiliser sa longue queue en tant que balancier pour mieux répartir son poids ou atteindre une nouvelle prise. Toutefois, l’auron s’avère peu à l’aise sur terrain plat, où son manque de vélocité est manifeste, notamment dû à ses mouvements très ondoyant, peu efficace sur une surface plane. Tous les arbres ne peuvent non plus soutenir sa charge, l’obligeant parfois à des détours inopportuns, dont des proies plus légères pourraient profiter pour le semer.     La partie externe et colorée de sa gorge est constituée d’une poche annexe à la trachée, alimentée par des glandes à venin. Le volume de celle-ci est hors norme en comparaison aux autres espèces venimeuses, mais est compensé en létalité par sa nature et son mode de dispersion. En effet, son crachat est plus acide que venimeux, ce qui n’en demeure pas moins efficace quand il est projeté à quelques mètres dans un large cône. Les brûlures occasionnées sont d’intensité moyenne, mais peuvent aisément aveugler une proie définitivement ou l’empêcher de respirer jusqu’à évaporation ou réaction totale de l’acide. Les chairs trop abondamment touchées seront infectées par le venin qui altérera les capacités nerveuses de la proie à long terme. Bien que le venin lui soit bénin, l’auron n’est pas immunisé à l’acidité du crachat en dehors de sa poche de projection. Les cenns auront noté qu’aucun auron n’emploie ce venin contre un de ses congénères, tandis que les témoignages de cenns ayant été aspergés sont rarissimes et ne concernent que des aurons sauvages.   Tout comme les cenns, il possède une résilience naturelle à la plupart des poisons et venins d’intensité modérée. Cette faculté est en plus doublée d’une immunité à la Gooj et à la Spek, toutes deux toxiques aux cenns après une exposition de quelques minutes. Ces derniers en ont spéculé l’origine des aurons au-delà de ces brumes, largement établies sur Vertoile.   Son œil rond possède incontestablement une meilleure aptitude à discerner les couleurs que ceux des cenns. Cette faculté a été établie dès les premiers aurons domestiqués, qui refusaient parfois des fruits, pourtant jugés mûrs par leurs éleveurs, en plus de constater que les créatures pouvaient se repérer entre eux avec une aisance confondante grâce à leurs écailles colorées, même dans les plus denses jungles de la région. La coloration pratiquement invariable de leurs séricules ne seraient pas non plus étrangère à cette acuité, offrant un point de repère constant au reptile.   Sa taille et son poids lui permettent de lutter équitablement avec une grande partie du bestiaire de vertoile, mais nécessitent également un apport nutritif conséquent, que certains territoires sauvages ne sauraient lui offrir.  

Instinct et comportement

Bien qu’ils tolèrent la présence d’autres individus dans leur voisinage, les aurons ont un comportement plutôt solitaire et égoïste. Ils ne constituent que très rarement une famille au-delà de la période d’incubation divisée avec leur partenaire et ne prennent aucun soin de leur progéniture une fois éclose. Ils ne se montrent cependant pas agressifs envers elle non plus et ne s’y intéressent que par pure curiosité.   Cette appétence pour la nouveauté et le singulier est le trait le plus marquant de sa nature, qui lui vaut d’être considéré comme d’une intelligence supérieure à celle de la majorité des espèces du Refuge. Les témoignages cenns sont nombreux concernant des aurons à l’oeil malin irrémédiablement attirés par une activité purement humaine, sans pouvoir les en défaire à moins d’user de la force. Leur curiosité excessive est autant un atout pour le dressage qu’un défaut dans le cas d’une situation risquée, l’animal mettant parfois de côté son instinct de survie par hubris.   Bien que leste et vif, l’auron est un animal patient, capable de prendre tout son temps pour grimper une falaise difficile à franchir, ou pour rester tapi dans un bosquet à l’affût d’une proie imprudente. Ses rares excès d’agressivité ne se manifestent qu’en cas d’affrontement périlleux ou lors des phases d’accouplement contestées.  

Alimentation

L’auron est omnivore, malgré une inclination piscivore et frugivore qui confine à de la gourmandise. Sa diète très variée rend son élevage facile, de sorte que l’animal est très rarement en carence, même dans les situations les plus strictes. Ses écailles dorsales et abdominales possèdent toutefois l’amusante particularité de changer de couleur selon son régime alimentaire. De fait, on trouve souvent des aurons d’une couleur similaire, bien qu’avec de légères variations, selon leur lieu de vie ou la nourriture qui leur est dispensée dans les nombreux sites d’élevage. Les spécimens étrangers sont ainsi facilement identifiables, jusqu’à ce que leurs teintes prennent la couleur locale au bout de quelques semaines. Les palettes de couleurs possibles semblent infiniment variées, ce qui peut parfois donner l'impression que chaque bête est unique.   Ses pattes n’étant pas pourvues de griffes et sa dentition étant minime, l’auron dédaigne les proies qu’il ne peut pas gober. N’étant pas particulièrement rapide malgré son aisance sur les branchages, il ne consomme des proies aériennes ou terrestres qu’en profitant d’un éventuel camouflage, ou en charognard opportuniste, si la dépouille est encore assez fraîche. Il est cependant vraisemblable que son régime carné soit supérieur en élevage qu’en liberté.   Il excelle en revanche à pêcher, soit en se glissant dans l’eau et en ondulant sensuellement grâce à sa queue puissante, toutes pattes rétractées, pour fondre sur une cible et la saisir entre ses rangées de petites dents pointues ; soit en assommant les poissons restés trop près de la surface, également avec sa queue, dans un puissant coup de fouet au son caractéristique.  

Reproduction

La femelle auron pond jusqu’à une vingtaine d’oeufs qui doivent être incubés pendant une centaine de jours. Originale, la méthode d’incubation consiste à conserver les oeufs dans la gorge des deux parents. En fait dans la poche à venin, vidée de sa substance, les glandes ne la sécrétant plus. La méthode assure une bonne régulation de la chaleur et permet de conserver les oeufs en sécurité relative. Il n’est cependant pas rare que certains oeufs éclatent prématurément en cas d’affrontement et d’accident. Ceux-ci sont alors régurgités pour éviter de souiller le reste de la ponte. Les petits sont évacués de la même manière au rythme de leurs éclosions puis livrés à eux-mêmes.   La parade nuptiale est un moment apprécié des cenns grâce à la multiplicité des interactions entre les aurons cherchant à gagner des faveurs. Le sexe n’influe pas sur l’initiateur d’une parade, mais semble plutôt être dû au caractère plus affirmé de l’auron. Elle débute invariablement par un frétillement des séricules qui prennent une teinte violacée. Une réaction similaire engage alors la cour qui peut prendre différentes tournures non exclusives :   Les vocajôles : une série intense et longue d’échanges vocaux très variés entre les partenaires. Les tons dominants sont aigus, tels les trilles d’oiseaux, mais ils peuvent aussi être graves. Les rares vèdres ayant eu la chance d’assister à un tel événement s’en rappellent comme d’une farandole de chants, qu’ils aiment comparer à un arc-en-ciel sonore.
Les reptortilles : un ensemble de postures visant à s’enrouler le plus possible avec le potentiel partenaire, lors d’une danse sensuelle et lente. La queue est invariablement exclue, étant un organe d’agression pure à leurs yeux. Bien que l’enlacement soit délicat, les partenaires se montrent extrêmement réticents à l’approche d’un autre auron, ou pire, d’une autre créature. Les cenns prennent soin de garder leurs distances lors de cette cour.
Les acrobêtises : souvent considérées par les cenns comme étant une marque de vanité, les engagés se suivent dans une ascension véloce d’arbres ou de falaise quelconque, sans grande retenue quant à leur sécurité. Des accidents surviennent parfois lors de cette parade, mais c’est un excellent moyen pour les cenns de repérer les lignées des meilleurs grimpeurs.   Il arrive que certains aurons procèdent à des offrandes de fruits durant la parade. Le geste est encore aujourd’hui mal compris par les Cenns, l’auron n’étant pas généreux par nature, d’autant plus que le fruit en question varie du tout au tout, même dans une région donnée.   Les affrontements ne sont pas rares lors des parades, notamment dans le cadre des élevages, compte tenu d’une plus grande promiscuité. Si un auron s’introduit dans le cercle intime de deux partenaires, il est quasi systématiquement confronté par l’auron du même sexe. Ces altercations prennent une forme similaire à la cour, l’agressivité en guise de séduction. Les aurons se font face, se dressent bien haut et font usage de leur plus grosse voix stridulée pour gronder et intimider l’adversaire. Le volume et les vibrations visibles de leur gorge est effectivement impressionnant d’un point de vue cenn. Si l’intimidation ne suffit pas à décourager l’intrus, l’initiateur procède à des voltefaces fulgurantes pour fouetter son opposant. Ces duels de queues sont excessivement dangereux pour les autres individus, tant les mouvements sont lestes et nerveux. La majorité du temps, l’un des candidats s’extirpe de l’affrontement, découragé par son adversaire. Il doit souvent fuir en hauteur pour éviter la pourchasse et s’éloigner suffisamment du second partenaire. Dans quelques cas cependant, la lutte pour durer jusqu’à épuisement. Les deux protagonistes étant généralement trop faibles pour poursuivre la parade avec le partenaire initial. Ce qui peut laisser place à un troisième concurrent, ou au simple report de la cour.    

Elevage

Dressage

Le dressage d’un auron doit commencer dès son plus jeune âge, car une fois adulte, l’auron sauvage ne se laissera jamais chevaucher.   Les dresseurs font en général appel à la gourmandise de l’animal, en utilisant les fruits les plus juteux et sucrés en tant que récompense. A l’inverse, la privation et la punition ont l’effet contraire : elles rendent l’animal rétif à moyen terme, et méfiant vis-à-vis des humanoïdes. Cela peut aller jusqu’à déclencher un comportement durablement agressif.   Il a été assez vite remarqué que les aurons réagissaient très positivement aux éléments de la même couleur que celle qu’ils aperçoivent sur leurs propres pattes et queue, comme si cette familiarité les rassurait et leur inspirait confiance. C’est pour cette raison que pour dresser un auron bleu, par exemple, on aura tendance à s’habiller en bleu pour faciliter le processus et créer un premier lien avec l’animal. Certains usagers ont conservé cette habitude, on peut ainsi voir régulièrement des paires assorties entre le cavalier et sa monture. Si on ne possède qu’une tenue de monte verte… il suffira d’adapter le régime de son compagnon jusqu’à ce qu’il change de couleur !  

Usages

Parmi les tâches les plus ingrates dévouées aux aurons, le trait est certainement la plus répandue. Ses capacités de déplacement lui valent évidemment une position de choix quand il s’agit de déplacer des biens d’un village à l’autre. Cette activité nécessite cependant de nombreuses adaptations et restrictions quant à ses dispositions naturelles. Ses déplacements ondoyants ayant une fâcheuse tendance à faire choir le matériel qu’il transporte, il a fallu concevoir un harnachement suffisamment souple et sécurisant. Les solutions trouvées consistent en l’arrimage de deux sangles abdominales croisées, placées vers les pattes, côté ventre, et de longes venant s’enrouler aux cornes. Les mouvements du cou entraînant le glissement des sangles le long du ventre de l’animal d’un côté tout en tendant celle à l’opposé contre la patte, offrant la souplesse nécessaire aux ondulations de son corps. Bien que fonctionnelle, cette solution comprime la cage thoracique de l’auron, l’empêchant de déployer toute sa puissance motrice. De plus, la charge imposée nuit évidemment à sa souplesse et à ses compétences de grimpe. Il va sans dire que cette tâche déplaît au plus haut point à l’auron, qui se montrera irascible tant que durera sa mission. C’est l’une des raisons pour lesquelles on préfèrera confier le trait à d’autres créatures dressées, si on a la chance d’en posséder.   À l’opposé du spectre de ses missions, l’auron fait une exceptionnelle monture, tant pour la chasse que pour la surveillance. La monte d’auron est particulièrement honorée parmi les cenns, compte tenu de la difficulté de se maintenir en selle et des capacités physiques nécessaires. En effet, malgré le dressage, l’auron demeure égoïste et n’a que peu d’égard quant à la résilience de ses cavaliers. Il est ainsi rare qu’il se limite dans ses mouvements ascendants ou serpentants. Les cenns ne font cependant rien pour contrer ce trait, de sorte à profiter au maximum des aptitudes de franchissement de la créature. De fait, au lieu d’adapter les aurons à leurs limitations, les cavaliers cenns s’échinent à repousser les leurs, ce qui en fait sans conteste l’élite guerrière du peuple des forêts.   Dans ce contexte, les éléments de harnachement sont maintenus au minimum afin de ne pas entraver les mouvements de la bête. Sa peau écailleuse empêchant les prises, les cenns se servent des cornes comme d’un guidon, et des sangles prises autour des pattes avant de l’auron sont rattachées à une ceinture, avec suffisamment de mou pour permettre au cavalier de glisser plus ou moins loin sur le corps ou la nuque de sa monture. Toutefois, ces équipements n’aident en rien le cavalier à maintenir son assise lors des ondulations ou des ascensions du saurien.