Paysage d'Enfer

Porte Saint-Jean

2 août 1759   Sur les hauteurs de la Porte Saint-Jean, le Maître des harpies observait un paysage digne des versets de l'Apocalypse. L'avant-veille, les anglais avaient tenté un débarquement à Beauport 1, mais les plages étaient biens défendues par les troupes françaises qui leur avaient ainsi asséné une cuisante défaite, des centaines de cadavres de tuniques rouges jonchaient encore le sable des plages, les fauves dépeçant leurs corps désarticulés. Le fumet de la décomposition atteignait les narines du vampire perché sur la muraille de la ville, le vent soufflant dans sa direction; la faim le tenaillait tant que même un buffet de corps pourrissant semblait alléchant. Afin de chasser cette pensée, il ouvrit une note remise par son neveu, Louis Legardeur de Repentigny, officier dans les Compagnies Franches, qui avait participé à la bataille et s'en était sorti indemne, en effet; bien retranchés; les troupes françaises n'avaient pratiquement eu aucune perte. Le jeune officier avait noté: '' Il n'y aucune chance pour que les anglais ne traversent cette plage, si nous tenons encore un mois; ils devront lever les voiles pour l'Angleterre avant l'arrivée de l'hiver. ''   Le Maître replia la note qu'il mit dans l'une de ses poches. Tout autour, la ville de Québec gisait en ruine, aucun baptiment n'était intact; depuis maintenant près d'un mois, la ville était bombardée sans cesse par l'artillerie anglaise qui pilonnait sans relâche et, lorsqu'un incendie se déclarait, les artilleurs y envoyaient des bombes incendiaires afin d'empêcher quiconque de calmer l'incendie, une cruelle et efficace stratégie. Ainsi, en une seule nuit, 167 baptiments furent soufflés dans la Basse-Ville durant le seul mois de juillet. À titre de Maîtres des harpies, Sa Majesté eut missionné son officier de rester en contacte avec certains mortels afin de pouvoir suivre la situation et aviser ses sujets lorsqu'il serait temps de changer de quartier, mais à ce stade, aucun quartier n'était plus sécuritaire: Tous étaient vulnérables. Les bombes des anglais volaient jusqu'au dessus du Faubourg Saint-Roch. Le Curé Récher et le Notaire Panet 2, informateurs du Maître, faisaient état d'une situation des plus en plus critiques dans la ville, les destructions perturbant la capacité des habitants de travailler et de tout simplement... vivre. Si les mortels ressentaient la peur, les vampires aussi car il n'est pas aisé de chasser dans une ville assiégée pleine de soldats et en grande partie détruite, chaque boulets menaçant de balayer vos siècles et les hurlements des loups dans les bois vous rappelant que cet endroit est maintenant une cage, votre cage... et qu'elle est en feu.   Sur les ramparts, le Maître n'était pas seul, car pour ajouter à la misère; afin de démoraliser les miliciens et se venger de l'échec sur les plages de Beauport, les anglais mirent le feu à tous les villages de Kamouraska à Point-Lévy et ils firent de même sur la rive-nord. Les hommes de milices s'étaient regroupés le long des ramparts de la ville et ils observaient, en silence, les larmes aux yeux, leurs vies partir en fumée sans savoir si leurs familles s'en étaient sortis, la colère et la rancoeur grondant sur les traits de leurs visages.  
  Ce qu'observait plus précisément le Maître, cependant, était trois navires dans l'estuaire de la St-Charles qui, au gré des vents favorables, voguaient paresseusement devant la baie droit vers la flotte anglaise. Au dernier Élysée, le clan Lasombra avait demandé que la Couronne les laisse interférer avec les autorités mortelles qui les avaient saisi à des fins militaires; mais la Couronne et Son Fléau s'y était opposée, ils en étaient presque venus aux poings; mais les Ombres se résignèrent finalement à abandonner leurs navires. Ces derniers avaient été chargé de poudres et, lorsque les trois baptiments sortirent de l'estuaire; les quelques marins à bord barrèrent leurs capes et y mirent le feu. Les trois torches flottantes foncèrent alors doucement droit vers les navires anglais dans la nuit dans l'espoir de briser la ligne, affaiblir le siège... faire chanceller le mur de canons anglais. Le dernier espoir du Maître de voir une brèche qui pourrait, peut-être, lui permettre de quitter cet enfer pour rejoindre la main tendue par le Prince de Montréal.   Les canons anglais beuglèrent alors comme autant de chiens enragés et l'une après l'autre, les torches à l'horizon s'éteignirent comme autant d'espoir déçu. Le Maître, le ventre aussi creux que les mortels qui l'entourait, devrait s'en remettre à ses réserves de plus en plus réduite et croiser les doigts pour qu'un boulet ne le réduise pas en poussière le jour durant...    
1. Wolfe tente un débarquement à Beauport le 31 juillet 1759. Cependant, Montcalm ayant prévu de longue date une telle manoeuvre avait fortement fortifiée les plages des rives de la St-Charles et jusqu'aux chutes Montmorency. Les anglais se heurtèrent à un mur devant des milliers de soldats, de miliciens et de guerriers des premières nations biens retranchés. Les troupes de débarquement anglaises furent taillées en pièces sans atteindre les lignes françaises et déplorèrent plusieurs centaines de morts alors que les défenseurs ne subirent pratiquement aucune perte.
2. Le Curé Récher (Jésuite) et Jean-Claude Panet, Notaire Royal, étaient tous deux résidents de Québec durant le siège, ces deux témoins ont décrit de manière détaillée dans leurs journaux personnels les événements du Siège de Québec, les conséquences des bombardements, les destructions, les incendies. Ceux-ci, comme la plupart des habitants de la ville, ont dû se déplacer à plusieurs reprises dans des abris de fortune après que leurs maisons (ou leur nouvel abri) eut été détruit par un bombardement.

Commentaires

Please Login in order to comment!