Annonce : Under relooking process

Communication et Consentement en Jeu de Rôle.

Bilan d'une crise des limites de jeu.

Récemment, après quelques années à maîtriser divers types de campagnes de D&D pour le même groupe d’ami·es, l’occasion m’a été donnée de participer avec elleux et cette fois en tant que joueureuse, à la campagne Curse of Strahd. Tout le monde était pris par l’enthousiasme de bientôt jouer dans cet emblématique univers de Ravenloft, légèrement modifié pour s’intégrer à celui de la MJ. Tout le monde a commencé à créer son personnage et tout semblait aller pour le mieux jusqu'à ce qu'un élément relatif aux limites de jeu acceptables pour chacun·e d'entre nous vienne perturber cette superbe atmosphère. En l'occurrence, mon opposition au fait que des PJs puissent se tuer entre eux, y compris pour une raison narrativement justifiée. Le conflit ayant suivi, a impliqué toutes les joueureuses et a conduit à une large fracture de la confiance et de l'envie de jouer ensemble. Je tiens donc ici à faire le point sur les divers éléments de ce conflit : les points de confrontation, les choix de gestion du conflit, et à envisager des réponses organisationnelles variées permettant le bon déroulement de sessions de jeu collectif et collaboratif associant l’ensemble des joueureuses impliquées.

 

Un conflit de consentement.

Cette histoire commence ainsi par la proposition d'une de mes amies et joueuses de maîtriser la campagne Curse of Strahd pour notre groupe, suivie d'un excellent engouement collectif pour cette annonce. L'envie de jouer l’emportant sur toute autre chose, chacun·e d'entre nous commença à créer son personnage, sous l'impulsion de notre nouvelle MJ, pendant que nous réfléchissions collectivement à la date de notre première session et de l'indispensable session 0. Premier faux pas. Ayant l'habitude de jouer ensemble, nous avions rapidement évacué la question des consentements et limites aux thèmes et actions envisageables au cours de la partie. Second faux pas. Effectivement, un élément que personne n'avait anticipé, moi compris, était le fait que pour la première fois, j'allais non pas être meuneureuse de jeu dans cette campagne, mais bien joueureuse. Or, cette simple modification de la configuration du groupe est la cause première des problèmes qui sont advenus.

Le fait est que mes limites ne sont pas les mêmes lorsque j'incarne et cherche à devenir un personnage (PJ), que lorsque je maîtrise les sessions. Ainsi, bien que relativement opposæ à la présence d’un certain nombre de sujets, je suis beaucoup plus ouvert·e aux possibilités d'action des PJ quand je ne fais pas moi-même partie intégrante du groupe. Tout simplement, parce que l'implication émotionnelle n'est pas la même. Le révélateur de cette différence a été l'arrivée dans le groupe d'un autre joueur, dont la MJ nous a annoncé que le personnage, chaotique mauvais, risquait potentiellement d'assassiner un autre PJ si ce dernier venait à être témoin de ses actes répréhensibles. Ce que la MJ nous annonce être autorisé, dans un souci de logique narrative et de réalisme de l'univers.

Problème : la possibilité de s'entretuer entre PJs est une action inadmissible pour moi, un véritable tueur de fun, en plus de me mettre dans une mauvaise posture émotionnelle (ce que cette situation m'a permis de découvrir).


 

Après quelques réflexions, j'ai décidé de mettre collectivement ça sur la table, en demandant à ce qu'une interdiction claire soit formulée à ce propos. 3ᵉ faux pas. Cette demande s'est immédiatement heurtée à une “levée de boucliers” venant de la MJ et d'autres joueurs. Ceux-ci – trouvant cette éventualité narrativement intéressante –, accompagnés par le joueur dont le personnage pourrait avoir le comportement en question, ont alors commencé à proposer, avec la MJ, une variété de compromis qui permettraient un certain degré d'immunité à mon personnage.

Démarche louable, évidemment, mais inutile, car ne résolvant aucunement mon problème et ne prenant pas en compte le fait qu'il y avait là une barrière hermétique de mon côté. J'ai immédiatement refusé ces compromis, ne résolvant pas le problème particulier qui est non pas que j'aie peur de la mort de mon personnage, mais que je ne supporte pas l'idée que les conflits entre nos personnages se soldent par la mort de l'un d'entre eux, ni plus ni moins que je ne supporte le fait que ceux-ci puissent se torturer ou commettre d'autres types de sévices entre eux. Autrement dit, je n'ai aucune envie de participer à un groupe dans lequel les personnages peuvent en venir à résoudre leurs problèmes à travers une violence insurmontable. En comparaison, ce genre de situation me cause beaucoup moins de souci si elle se réalise sous l'impulsion de la MJ à travers les PNJs, les créatures, voir la prise de contrôle d'un autre PJs.

La situation s'est alors rapidement envenimée. D'une part, du fait de mon incapacité à accepter les compromis proposés, insuffisants pour garantir mon envie de jouer et ma sécurité émotionnelle. D'autre part, du fait de l'incapacité des autres à accepter cette limite infranchissable au sein du jeu au prix de certaines possibilités narratives. 4ᵉ faux pas.


 

De mon côté, la plus grande conséquence de cette situation, a été la provocation d’une rupture de la confiance que je donnais à ces ami·es à travers le jeu. Si iels ne sont pas capables de comprendre et d'accepter que c'était une limite infranchissable pour moi et qu'iels préfèrent laisser cette possibilité ouverte, au prix de ma participation au jeu. Quelle assurance ai-je alors que si une situation inattendue et semblable arrivait en cours de jeu, celle-ci serait résolue de manière à minimiser au maximum les retombées négatives ? Pire encore, comment était-il possible qu'ils puissent envisager ma non-participation à la campagne plus aisément que de mettre en place une interdiction stricte d'un type de comportement qui empêcherait ma participation ? Bien que narrativement intéressante, mais aussi peu probable, la liberté d’interprétation de cette action par les personnages vaut-elle plus que le plaisir de jouer ensemble ?

De leur point de vue, au contraire (d’après ce que j’en ai compris), d'une part, il leur semblait que ce soit pour moi un problème de contrôle inhérent à mon changement de rôle de MJ vers celui de joueureuse impliquant une incapacité d'accepter la possibilité de la mort de mon personnage. 5ᵉ faux pas. D’autre part, la marche à suivre devait nécessairement impliquer d’accepter, non seulement l'arbitrage de la MJ, mais surtout, le choix défini par la majorité du groupe s'accordant sur les compromis proposés. 6ᵉ faux pas.


 

Suite à ça, la situation a essentiellement consisté en une forme de guerre de tranchées consistant pour chacun à tenir ses positions et, je dois le reconnaître en ce qui me concerne, à empirer la situation à la fois par trop grande franchise, par maladresse de communication, et par manque de considération produite par la frustration de devoir abandonner le projet de participer à cette campagne après avoir constitué un duo de personnages avec une amie. 7ᵉ faux pas

Toujours est-il que la situation a escaladé jusqu'à la fracture, espérons temporaire, du groupe et la mise en pause de la campagne que je maitrisais.

 

De nombreux problèmes à soulever.

Au cours de cette séquence désastreuse, un certain nombre de dysfonctionnements et ratés, à la fois d'organisation et de communication, sont à mon avis observable, avec l’aide des nombreux contenus en ligne sur le sujet. S'ils avaient été évités, cela aurait probablement pu prévenir ces regrettables développements.

 

1ᵉʳ faux pas : Commencer à s’investir dans le jeu avant la Session 0.

La session 0, dont le concept est largement explicité à de multiples endroits sur le net et a également été décrit dans la section des outils de MJ du TCoE1, sert à poser les bases des attentes de chaque joueureuse, MJ compris.e, au sein du groupe.

Si nous avions attendu de nous mettre au clair sur les éléments essentiels de la campagne pour chacun.e d’entre nous, avant de nous lancer dans la préparation des personnages, un tas de frustration collective et d’incompréhension aurait sûrement été évité. Peut-être que ç'aurait permis de poser l’interdiction dont j’avais besoin, ou peut-être que ç'aurait conduit à en conclure que les éléments attendus par les autres ne permettaient pas ma participation, de manière apaisée.

De plus, le fait de discuter de tout ça de vive voix et non par messagerie instantanée aurait probablement évité un certain nombre d’incompréhensions et de ressentiments.

 

2ᵉ faux pas : Croire que les limites et les consentements sont connus.

Chaque configuration de jeu est unique. Même lorsque les rôles ne changent pas entre MJ et joueureuses d’une campagne à une autre, la situation (les attentes, le scénario, etc.) est différente et implique de nécessairement reprendre la constitution d’un contrat social à partir de ces éléments spécifiques. D’ailleurs, celui-ci devrait être remanié régulièrement au cours d’une même campagne pour prendre en compte l’émergence de nouveaux éléments qui n’avait pas été pensé au départ.

En faisant cela au cours d’une session 0 rondement menée, nous nous serions très certainement évités un grand nombre de mauvaises surprises.

 

3ᵉ faux pas : Mettre les problèmes sur la table avant concertation avec læ MJ.

Celui-ci peut paraître contre-intuitif, mais si l’on regarde notre situation, en réalité un nombre important de problèmes interpersonnels aurait pu être évités si je n’avais pas commencé par étaler le problème à la portée de toustes. En particulier le sentiment de formation de partis antagonistes et la mêlée générale des avis personnels de chacun.

Dans un premier temps, donc, mieux vaut faire part du problème à læ MJ et faire le point sur les solutions et compromis envisageables avant de proposer un retour au groupe. Rappelons également que personne ne doit se justifier de vouloir mettre des limites à certains sujets. Parfois, une telle justification n’est même pas possible. Il suffit amplement à læ MJ et au groupe de savoir le type de limites demandées pour chaque sujet. En premier lieu : est-ce une limite douce, adaptable par une forme de compromis, où est-ce une muraille infranchissable sans provoquer un siège.

En lien direct, on peut noter un autre faux pas : Croire que des compromis sont toujours possibles ou acceptables. Si un·e ami.e refuse d’accepter un compromis qui vous paraît acceptable, ce n’est généralement pas pour vous emmerder, c’est que soit iel n’a pas bien compris votre proposition, soit ce compromis n’est tout simplement pas acceptable pour une raison que vous ignorez. Néanmoins, peut-être que les attentes et limites de chacun·e sont juste incompatibles. Dans ce cas, ne cherchez pas à vous forcer à jouer ensemble dans des conditions inacceptables par toustes, ça ne fera que retarder le problème.

 

4ᵉ faux pas : Ne pas s’accorder sur les attentes de chacun.

En miroir des limites, beaucoup de conflit aurait certainement pu être évité si les attentes et priorité de chacun·e avait été fixé dès le début, à commencer par la MJ, dès la proposition de campagne, et suivie par les joueureuses. En particulier, nous aurions chacun dû prendre le temps de définir ce qui était indispensable et prioritaire pour nous comme les sujets et libertés d’actions indispensables à un jeu satisfaisant. Sans lesquelles le fait de jouer ensemble perd son attrait.

 

5ᵉ faux pas : S’imaginer que l’on sait ce qui se trame dans la tête des autres.

Que ce soit moi qui ai pensé que les autres se fichaient bien de jouer avec moi puisque iels ne pouvaient pas accepter de jouer avec mes limites ; ou elleux qui ont crû que mon problème venait d’une peur pour mon personnage ; s’imaginer ce qu’il se passait dans la tête des autres pour orienter nos actions n’a eu pour seul effet que d’empirer les choses. Parce qu’évidemment, nous ne sommes pas des détecteurs de pensées. En communiquant et en se faisant confiance, au contraire, tout ça aurait probablement été résolu plus calmement.

 

6ᵉ faux pas : Ne pas s’accorder sur les modes de décisions.

Un point important de désaccord implicite dans notre conflit repose aussi sur les modes de décision supposés primer en cas de désaccord, en lien avec nos attentes. En ce qui me concerne, et de ce qu’en dit le TCoE et de nombreuxes intervenant.es, c'est le cas de la plupart des groupes. Je mets au centre de mon attention le principe implicite et tacite que le groupe se réunit pour jouer ensemble et que, de ce fait, la priorité est d’arriver à un consensus de consentement permettant à toustes de jouer en adoptant les limites nécessaires à la participation de toustes dans de bonnes conditions émotionnelles.

Je n’avais tout simplement pas envisagé que notre groupe puisse avoir des points de vue divergents sur la question. Or effectivement, il peut y avoir une certaine logique à s’accorder sur le fait que l’arbitrage de læ MJ fait loi, comme on le fait habituellement en Jeu à propos des règles. De la même manière que je considère que cet arbitrage devrait être dirigé par la recherche et la protection du consensus, il est tout à fait cohérent qu’il puisse avant tout être guidé par des choix à la majorité, ou même par les besoins scénaristiques de læ MJ.

Le tout est de bien faire le point, encore une fois, pour que le groupe s’accorde là-dessus et se forme sur des bases solides. Inutile de s’attarder dans un groupe qui fonctionne sur un système de décision qui ne vous convient pas, à nouveau, ça ne ferait que retarder l’inévitable scission.

 

7ᵉ faux pas : Rejeter la faute sur les autres.

Là est probablement ma plus grosse erreur dans toute cette histoire. Certes, il est vrai que l’on peut choisir plus facilement des intérêts narratifs que des contraintes émotionnelles, ce qui m’a conduite à dire que le groupe ne me laissait aucun autre choix que de ne pas jouer avec lui. Mais au fond, en y réfléchissant un peu plus, la réciproque est aussi juste : pour pouvoir jouer avec moi, plusieurs personnes n’auraient pas eu d’autre choix que de ne pas jouer au jeu qu’elles veulent.

Au lieu d’antagoniser et rejeter la faute sur les autres, mieux vaut simplement reconnaître que, indépendamment de toute responsabilité, les conditions ne sont pas réunies pour pouvoir jouer ensembles et que nous sommes toustes contraint.es à un choix qui n’en est pas un. Une autre fois peut-être.

 

En Résumé-conclusion :

En espérant proposer une méthode permettant d’éviter les écueils soulevés ici, j'ai conçu la feuille de route accessible via le lien ci-dessous. Une dernière précision semble importante : Ne chargez pas læ MJ de la responsabilité du bon suivi/déroulé de la séquence de composition du groupe. Celle-ci est de la responsabilité de toustes, læ MJ a largement assez de responsabilités d’arbitrage dans tout le processus.


Feuille de Route de Création de Goupe
Fiche de présentation et discussion des limites (exemple personnel)
  1Tasha's Cauldron of Everything, Wizards RPG Team (2020)
  Autres sources intéressantes :
  DnD Celebration - Session 0 (ft. Nicolas Berno & Naetherion)
  Do THIS before starting your D&D campaign
  D&D Boundaries Matter
  4 Steps for Running an Evil D&D Campaign (without it blowing up in your face)
  Ten Big Red Flags when Joining a D&D Group
  How Critical Role PvP can be both good and bad - Dungeons and Dragons Player vs Player
  Player vs Character Boundaries in D&D
  PVP - Conseil D&D
  How to Run an EVIL RPG Campaign! (GM Tips w/ Matt Mercer)


Cover image: The Lost Wall of Edulin by Zannazook

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