Deus Ex Machina

Anthony Orta

La tension était plus que palpable dans la pièce.
Cela faisait plusieurs minutes (plusieurs heures pour certains) qu’ils étaient assis autour de cette grande table dans la moiteur et l’humidité. Sassaniel était venu tôt dans l’après-midi, suite à la convocation de l’Archi-mage Silas Ravenhood.
Le lieu de rendez-vous était toujours le même; une vaste salle dans le réseau labyrinthique des égouts d’Erionth.
Les autres Archi-mages n’aimaient pas venir ici, cela était indigne de leur rang et de leur puissance.
Sassaniel triturait nerveusement sa baguette en attendant, l’attente était trop longue et les regards trop hostiles.
A côté de lui, Gal'adil Milégula fumait son herbe en tapotant des doigts sur la table. Les rides de son visage haut-elfique paraissaient encore plus profonde dans la pénombre.
A côté de lui, Silésuna conversait à voix basse avec Mak’Duk gro Barr. Sassaniel redoutait Silésuna car son ambition dévorante l’avait déjà poussée à faire ce qu’il devrait être interdit de faire en nécromancie.
De l’autre côté de la table, Gothroïn ne disait mot. Seul le haut de sa tête dépassait de la table mais on pouvait aisément voir qu’il était contrarié. Un mage de guerre n’était pas fait pour attendre. Aznodel faisait les cent pas derrière lui. Le sorcier souffrait clairement d’un manque d’action, cela faisait plusieurs mois que tous attendait le retour de Ravenhood.
Kayn tirait sur les poils de sa moustache d’un air pensif, mais c’était Lycinia qui rendait Sassaniel nerveux. Elle le fixait avec son sourire en coin, il savait que sa dette envers elle n’était toujours pas payée. Tôt ou tard il devrait ... Le portail magique s’ouvrît d’un coup dans un coin de la salle, interrompant le fil des pensées de Sassaniel. Décidément Ravenwood aimait travailler ses entrées...
L’archi-mage était superbe comme toujours. Son beau manteau pourpre lui donnait une allure qui sublimait son charisme. Sa barbe finement taillée ne cachait pas son sourire qui attestait de son assurance infaillible. Malgré sa cinquantaine d’années, c’était un bel homme à n’en pas douter.
— ENFIN !! s’exclama Gothroïn en bondissant sur sa chaise. Sois maudit sang faible ! Ça fait des heures que je poireaute ici !
— Cela fait trop de fois que tu nous prends pour tes laquais, Ravenhood, avertit Gal’adil d’un ton calme mais menaçant.
Un cran de plus... Sassaniel en avait l’estomac noué.
Ravenhood leva immédiatement les mains en signe d’apaisement et s’arma de son plus beau sourire.
— Mille excuses chers confrères ! Soyez assurés que mon retard n’est pas le fait d’un manque d’égard envers vous mais bien un contre-temps qui fut des plus désagréable.
Ravenhood posa sur la table une petite caisse qui avait l’air assez pesante.
— Merci à vous d’être venus. Nous allons commencer.
— Commence déjà par nous dire pourquoi nous avoir fait retirer nos troupes, demanda Aznodel. Ça fait des mois que nous ne progressons pas contre Kharishaa.
Ravenhood se laissa tomber sur un siège en bout de table.
— Mon cher Aznodel, sache que nos jeunes petits mages ne sont pas de taille pour ce combat. Ils nous ont aidés à faire nos basses besognes et à affaiblir les Dieux, mais c’est à nous d’assurer la suite.
— Je commence à être de plus en plus sceptique par rapport à tout cela, dit Kayn à mi-voix. Nous sommes clairement allés trop loin. Défier les Dieux ! Et puis nous devrions arrêter de nous réunir juste sous le nez du Cercle, ils vont finir par sentir notre présence...
— Hahaha ! S’égosilla Ravenhood. Ces prestidigitateurs inutiles seraient incapables de nous localiser si nous étions dans la salle juste à côté d’eux...
— Ce n’est pas la question Iloïl, lui dit Silésuna. Nous allons perdre cette guerre, c’est une question de temps.
— Allons, allons mes amis ! (Ravenhood avait inondé la salle de son aura magique, juste pour rappeler à tous qu’il n’était pas connu que pour son charme). Ne vous ai-je pas tous appelés à participer à ceci car vous étiez les mages les plus puissants d’Abrasia ? N’ai-je pas partagé avec vous les écrits d’Ormandus que j’avais réussi à retrouver dans les tréfonds des ruines de l’antique école ?
— Nous t’avons largement payé de nos services et de notre art pour tout cela, dit Mak’Duk gro Barr.
— Et puis il nous manque les deux plus puissants, renchérit Gothroïn. Mordredh et Gavek, ils sont plus puissants qu’aucun d’entre nous.
— Même plus puissants que toi... dit Lycinia d’un sourire mauvais en regardant Ravenhood.
L’Archi-mage perdit son sourire et Sassaniel remarqua qu’une veine enflée près de sa tempe trahissait une colère contenue.
— Gavek est un pleutre ! annonça t-il d’un ton sec. Jamais il n’aurais pu aller aussi loin que nous, il nous aurait trahi. Quant à Mordredh... Le Conjurateur a été puissant en son temps, mais il est vieux désormais. N’oubliez pas notre objectif, mages. La puissance des Dieux peut être à nous !
Personne ne renchéri. Le chaman et le nain étaient dubitatifs. L’elfe, la nécromancienne et le sorcier était dans une neutralité et attendaient la suite. Kayn marmonnait dans sa moustache et Lycinia... Comme à son habitude, l’invocatrice serait du côté des vainqueurs.
— Sassaniel !
Le jeune mage sursauta, surpris d’entendre son nom prononcé. Ravenhood le fixait intensément avec un petit sourire.
— Je ne vous ai guère entendu ces temps-ci, alors que votre talent unique et rare nous est primordial, indispensable même ! Donnez-moi votre sentiment.
Sassaniel se redressa, mal à l’aise d’être le centre d’attention.
— Vous savez... , commença t-il. Vous savez pourquoi je suis ici. Comme vous je désire ce pouvoir, mais je ne peux m’empêcher de penser aux conséquencesque cela aura sur le pays et l’équilibre. Abrasia va déjà si mal... comment se relèverait-elle si les Dieux ne sont plus là ?
Ravenhood resta un long moment à l’observer. Avec bienveillance ou suspicion, Sassaniel n’aurait su le dire.
L’Archi-mage se releva et sans prévenir, ouvrit la caisse qu’il avait emmenée, révélant son contenu à tous. A l’intérieur, un immense rouage mécanique était posé sur un fin tissu. Au centre du rouage, un cristal violet de la taille d’une petite pastèque luisait d’un fort éclat. Tous se levèrent pour contempler cette merveille inconnue.
— Qu’est-ce donc ? demanda Lycinia avec les yeux pleins d’avidités.
— Le futur, répondît Ravenhood fier de son effet.
— Mais d’où cela prov...
— Du Nord, coupa l’Archi-mage. J’ai voyagé jusqu’à une contrée qui se trouve loin derrière la Ceinture Tropicale. Ils sont très en avance là-bas et maîtrisent la « technologie ». Une science prometteuse et intéressante qu’ils ont su allier à la puissance de l’aether. Mais ils sont limités, ils n’en tirent pas le maximum de sa puissance.
Ravenhood se tourna vers Sassaniel.
— N’ayez pas de remords, Sassaniel. Abrasia est déjà perdue. Je suis allé voler cette pièce dans le palais de leur empereur et j’y ai vu beaucoup de choses. Ils ont pour projet d’envahir Abrasia. Tôt ou tard ils parviendront à franchir la ceinture. Ils ont des armes qui font passer les meilleurs arbalètes pour des lances-pierre... Anéantissons les Dieux, prenons leurs places ! Nous pourrons faire plus pour ce monde lorsque nous aurons leur puissance.
Les mages étaient désormais sous la coupe de Ravenhood et il le savait. Car tous fixaient l’objet avec des yeux pleins de convoitises, reflet du pouvoir qui était désormais à portée de main.
— Mais... comment cela pourrait-il anéantir un dieu ? demanda Kayn. Tu as dit que c’était limité comme pouvoir.
— Faux. J’ai dit que « eux » étaient limités ! Ils utilisent ce pouvoir pour créer des armes et des véhicules. Ils animent des choses matérielles. Pour faire tomber les Dieux de leur trône céleste, j’ai vu plus loin. Beaucoup plus loin...
— Mais quoi donc !? demanda Aznodel suppliant.
Ravenhood sourit et se dirigea au fond de la salle où une grande toile recouvrait quelque chose d’immense. Il attrapa une corde et se retourna vers les mages qui se tenaient tous là, suspendus à ses lèvres.
— OBSERVEZ ! Hurla Ravenhood avec un sourire carnassier. LE DESTRUCTEUR DU CIEL !!!
Il tira sur là corde et la toile révéla ce qu’elle cachait. Sassaniel fut horrifié, les autres souriaient avec des regards de prédateurs.
Ils avaient gagnés.