L'archiviste du Cercle des Mages
Note retrouvée dans les papiers de Nagrantar le Sage , archiviste du cercle des mages d’Erionth de 612 AD à 498 AD. La date de ce document est estimée à 500 AD environ.
Ce matin, ce vieil abruti d’Itrandir m’a amené une jeune femme qu’il m’a présenté comme ma nouvelle apprentie – en réalité celle qu’il a choisi pour me succéder quand je me serais dissout quelque part dans l’éther. J’ai déjà oublié son nom. C’était une jeune humaine, à la peau lisse et au regard décidé. Itrandir m’a vanté ses qualités – initiée très jeune aux arts arcaniques, parle six langues, a de l’expérience dans les archives des mages de je ne sais quelle bourgade – et a fini son petit éloge d’un air gêné en disant que cela permettrait de continuer à collecter les archives des mages en activité et aller dans d’autres contrées chercher des tomes inédits pour la bibliothèque. La petite n’a pas moufté. Ils lui avaient sans doute déjà dit que je n’ai pas remis le pied dans leur réalité depuis plus de dix ans.
Je les ai reçus, comme à mon habitude, dans le petit bureau attenant à la salle de lecture. C’est le seul endroit des archives qui reste accessible sans dommage aux personnes qui viennent consulter des documents ou me verser leurs papiers. Je ne sais pas combien de temps les sorts que j’ai mis en place pour que les visiteurs ne soient pas engloutis dans la dimension où je me trouve vont continuer à fonctionner normalement. La petite a intérêt à avoir les reins solides pour que ça tienne.
Elle a en tout cas consenti de bonne grâce à me servir de coursier et à harceler à ma place tous les mages qui se rendent au Cercle pour qu’ils racontent leur histoire et surtout, transmettent leurs notes de recherche avant de repartir errer on ne sait où. Elle a déjà l’air d’avoir compris qu’il n’y a pas plus têtu qu’un magicien un peu trop fier des sorts qu’il a développé et qui ne veut transmettre ses secrets à personne.
A la fin de l’entretien, alors qu’Itrandir était déjà reparti au Cercle par le portail, elle s’est retournée vers moi et m’a demandé, plutôt brusquement : « Il paraît que tous les archivistes du Cercle ont une longévité exceptionnelle. Mais je n’ai pas trouvé d’humain dans cette liste. Savez-vous si des membres de mon espèce dureraient aussi longtemps ? »
J’ai réfléchi longtemps avant de lui répondre.
« Vous seriez la première, je crois. Ce serait l’occasion de mettre en place un protocole intéressant pour estimer l’impact de cette pièce sur le vieillissement des humains. Faites-moi un rouleau avec une proposition de dispositif d’expérience, et nous regarderons cela ensemble. »
Ça ne l’a pas décontenancée. Je crois qu’elle ne se rend pas encore bien compte du choix qu’elle a fait en venant ici.
Tirésias est sorti peu après de l’étagère où il s’était caché. Je lui ai expliqué que la jeune humaine serait la prochaine magicienne qui serait en charge des lieux. Je crois que ça ne l’a pas beaucoup perturbé. Il a été le familier de tant de mages archivistes que le changement le laisse assez indifférent.
Aujourd’hui encore, j’ai senti, aux limites de ma conscience et un peu plus fort qu’hier, chaque registre, chaque carton, chaque étagère, comme si j’étais une partie des archives, ou que les archives étaient devenues une partie de moi. Je m’étais longtemps interrogé, en prenant la charge des archives, ce qu’il avait bien pu advenir de mes prédécesseurs. Etaient-ils vraiment morts ? Si oui, où était leur corps ?
Depuis plus de cent ans que j’habite cette dimension, je crois avoir compris qu’elle a été constituée non seulement des documents qui y ont été déposés mais aussi des restes de la conscience des archivistes qui y ont œuvré et qui ont infusé les murs et les couloirs jusqu’à effacement total de leur substance corporel et de leur individu. Quand je l’ai compris, il y a vingt ans, cette perspective m’a horrifié. Maintenant, je la vois comme une forme d’immortalité. Ainsi, le savoir que j’ai acquis ici ne sera pas perdu.
On a coutume de dire que le poste d’archiviste du Cercle des mages est l’un des plus puissants d’Abrasia. Il est vrai que donner accès au savoir accumulé ici – des sorts et rituels de grandes puissances, des notes de recherches donnant accès aux plus grands secret arcaniques – donne un pouvoir considérable. Il semble donc juste et raisonnable que l’être qui concentre ce pouvoir ne puisse en faire usage dans la dimension où ce pouvoir prendrait effet. »
Ce document a été annoté de l’écriture – reconnaissable entre toutes par son caractère illisible - d'Aubépine Feuillerouge , qui a pris la succession de Nagrantar le Sage. La page conclut par : « Le vieux avait raison, mais il ne voyait pas assez loin. Cette dimension n’aura pas ma peau. »
Ce matin, ce vieil abruti d’Itrandir m’a amené une jeune femme qu’il m’a présenté comme ma nouvelle apprentie – en réalité celle qu’il a choisi pour me succéder quand je me serais dissout quelque part dans l’éther. J’ai déjà oublié son nom. C’était une jeune humaine, à la peau lisse et au regard décidé. Itrandir m’a vanté ses qualités – initiée très jeune aux arts arcaniques, parle six langues, a de l’expérience dans les archives des mages de je ne sais quelle bourgade – et a fini son petit éloge d’un air gêné en disant que cela permettrait de continuer à collecter les archives des mages en activité et aller dans d’autres contrées chercher des tomes inédits pour la bibliothèque. La petite n’a pas moufté. Ils lui avaient sans doute déjà dit que je n’ai pas remis le pied dans leur réalité depuis plus de dix ans.
Je les ai reçus, comme à mon habitude, dans le petit bureau attenant à la salle de lecture. C’est le seul endroit des archives qui reste accessible sans dommage aux personnes qui viennent consulter des documents ou me verser leurs papiers. Je ne sais pas combien de temps les sorts que j’ai mis en place pour que les visiteurs ne soient pas engloutis dans la dimension où je me trouve vont continuer à fonctionner normalement. La petite a intérêt à avoir les reins solides pour que ça tienne.
Elle a en tout cas consenti de bonne grâce à me servir de coursier et à harceler à ma place tous les mages qui se rendent au Cercle pour qu’ils racontent leur histoire et surtout, transmettent leurs notes de recherche avant de repartir errer on ne sait où. Elle a déjà l’air d’avoir compris qu’il n’y a pas plus têtu qu’un magicien un peu trop fier des sorts qu’il a développé et qui ne veut transmettre ses secrets à personne.
A la fin de l’entretien, alors qu’Itrandir était déjà reparti au Cercle par le portail, elle s’est retournée vers moi et m’a demandé, plutôt brusquement : « Il paraît que tous les archivistes du Cercle ont une longévité exceptionnelle. Mais je n’ai pas trouvé d’humain dans cette liste. Savez-vous si des membres de mon espèce dureraient aussi longtemps ? »
J’ai réfléchi longtemps avant de lui répondre.
« Vous seriez la première, je crois. Ce serait l’occasion de mettre en place un protocole intéressant pour estimer l’impact de cette pièce sur le vieillissement des humains. Faites-moi un rouleau avec une proposition de dispositif d’expérience, et nous regarderons cela ensemble. »
Ça ne l’a pas décontenancée. Je crois qu’elle ne se rend pas encore bien compte du choix qu’elle a fait en venant ici.
Tirésias est sorti peu après de l’étagère où il s’était caché. Je lui ai expliqué que la jeune humaine serait la prochaine magicienne qui serait en charge des lieux. Je crois que ça ne l’a pas beaucoup perturbé. Il a été le familier de tant de mages archivistes que le changement le laisse assez indifférent.
Aujourd’hui encore, j’ai senti, aux limites de ma conscience et un peu plus fort qu’hier, chaque registre, chaque carton, chaque étagère, comme si j’étais une partie des archives, ou que les archives étaient devenues une partie de moi. Je m’étais longtemps interrogé, en prenant la charge des archives, ce qu’il avait bien pu advenir de mes prédécesseurs. Etaient-ils vraiment morts ? Si oui, où était leur corps ?
Depuis plus de cent ans que j’habite cette dimension, je crois avoir compris qu’elle a été constituée non seulement des documents qui y ont été déposés mais aussi des restes de la conscience des archivistes qui y ont œuvré et qui ont infusé les murs et les couloirs jusqu’à effacement total de leur substance corporel et de leur individu. Quand je l’ai compris, il y a vingt ans, cette perspective m’a horrifié. Maintenant, je la vois comme une forme d’immortalité. Ainsi, le savoir que j’ai acquis ici ne sera pas perdu.
On a coutume de dire que le poste d’archiviste du Cercle des mages est l’un des plus puissants d’Abrasia. Il est vrai que donner accès au savoir accumulé ici – des sorts et rituels de grandes puissances, des notes de recherches donnant accès aux plus grands secret arcaniques – donne un pouvoir considérable. Il semble donc juste et raisonnable que l’être qui concentre ce pouvoir ne puisse en faire usage dans la dimension où ce pouvoir prendrait effet. »
Ce document a été annoté de l’écriture – reconnaissable entre toutes par son caractère illisible - d'Aubépine Feuillerouge , qui a pris la succession de Nagrantar le Sage. La page conclut par : « Le vieux avait raison, mais il ne voyait pas assez loin. Cette dimension n’aura pas ma peau. »
Type
Academic, Professional
Past Holders
Related Locations
Related Organizations
Commentaires
Author's Notes
"Relu par Anthony le 30/05/2019"