Tout comme les Épidémies de Colère, la détresse de l’exilé ne touche que les Aqonti. Elle est intrinsèquement liée, là aussi, à la nature particulière de leur structure communautaire et à leur capacité naturelle à communiquer leurs émotions via le shan. Fort heureusement, et même si l’une peut mener à la seconde, la comparaison s’arrête là. Cette affection est avant tout sociale, et est loin de causer autant de ravages. Elle demeure cependant une véritable épine dans le pied des Aqonti, et contribue à leur timidité culturelle.
Cause
La détresse de l’exilé touche invariablement tous les Aqonti qui quittent
le Llahe plus de quelques semaines. Elle se déclare à leur retour au pays, lorsqu’il faut à nouveau vivre au sein de la société des flaques.
C’est bel et bien le fait de sortir de ce carcan émotionnel qui libère, en quelque sorte, les individus qui s’exilent trop longtemps. Loin de la prudence policée des sentiments aqonti, les voyageurs découvrent la spontanéité étrangère et la reçoivent en pleine figure - ou plutôt en plein shan. C’est la raison pour laquelle un Aqonti dont c’est la première excursion vivra assez mal les premiers temps loin de chez lui : il se montrera taciturne, fermé, silencieux, et se plaindra éventuellement de migraines. Même un itinérant chevronné aura besoin d’une petite période d’adaptation, le temps d’ajuster sa réception shanique.
Avec le temps, les exilés s’adaptent donc à ce nouvel environnement. Les barrières dressées sur le Llahe ne tiennent pas bien longtemps face au déferlement de ressentis divers. De même pour l’émission : puisqu’il n’y a pas de risque de Colère au sein d’un groupe composé d’individus de peuples différents, les Aqonti déracinés cessent peu à peu de filtrer ce qu’ils éprouvent. C’est généralement un instant d’euphorie pour eux, souvent décrit comme une émotion de liberté puissante.
Une fois habitués à ce nouveau mode de vie, le retour sur le Llahe est, bien évidemment, extrêmement délicat.
Symptômes
Lorsqu’un voyageur cherche à se réintégrer dans sa société d’origine, il subit un nouveau choc, à l’inverse du premier : les émissions émotives sont partout, elles régissent la vie quotidienne, mais semblent encore étrangères. Les sujets ont décrit cette impression comme celle d’un paysage embrumé. Les informations sont là, mais elles sont voilées, comme traduites dans un langage différent. Lui-même ne sait pas plus recevoir qu’il sait émettre correctement : il se met à agir comme un étranger, à ne pas filtrer suffisamment ses émotions, qui s’égaillent comme des animaux sauvages tout autour de lui. Seulement, contrairement aux étrangers, l’Aqonti de retour dispose d’un shan, ce qui amplifie d’autant plus ses erreurs.
Sa présence devient rapidement très inconfortable pour ses semblables autour de lui. Un tel comportement, s'il n’était pas expliqué par la situation, serait perçue comme extrêmement grossière. C’est comme si une personne descendait nue dans la rue pour insulter tous les passants en hurlant…
Plus grave encore, la colère qu’il ne parvient plus à contrôler pourrait à tout moment générer un nouveau foyer d’infection. Cela a d’ailleurs été le cas plusieurs fois.
C'est pourquoi l’Aqonti souffrant de la détresse de l’exilé est incapable de vivre en communauté avec les siens sur le Llahe.
Traitement
Il est bien plus long et difficile de se soigner de ce mal que de le contracter. En d’autres termes, si l’adaptation se fait en quelques semaines pour un voyageur qui sort du Llahe, elle peut prendre plusieurs années pour celui qui y retourne.
Les gens touchés sont d’emblée refusés à
Alprra, qui est particulièrement fragile vis-à-vis de ce genre de menaces. On leur réserve quelques avant-postes dans la partie occidentale du Llahe, par exemple pour les divers itinérants qui empruntent régulièrement la route des flaques pour échanger avec Nepo et les autres territoires. Ceux-là se savent en transit, et n’ont aucune raison de s’avancer plus avant sur le Miroir Brisé. Ces villages sont suffisamment cosmopolites pour ne pas représenter un trop grand danger de Colère, et sont de toute façon étroitement surveillés par les
Occultés .
Pour ceux qui désirent réellement réintégrer la société aqonti, la première étape est d’abord de s’isoler. Il existe notamment autour de la Goutte de nombreuses cabanes où ces ermites temporaires tentent de retrouver le silence. Là, ils doivent réapprendre seuls à contrôler leurs émotions, comme on apprivoiserait un fauve trop longtemps en liberté. Cette épreuve est particulièrement difficile pour les Aqonti, qui sont une espèce grégaire qui s’épanouit dans l’échange avec les autres. Ainsi isolés, ils sont seulement ravitaillés de temps en temps - par des unités Occultées en maraude, le plus souvent. Ces visiteurs en profitent pour vérifier l’état du malade : même si c’est assez rare, la solitude peut parfois mener un Aqonti vers la folie.
Le procédé peut prendre six mois pour les plus rapides, mais en général les exilés s’isolent une à deux années complètes. Certains élèvent des
kappus des sables pour s’occuper, et il a été prouvé que la présence de ces animaux pouvait accélérer la guérison.
Lorsqu’ils se sentent prêts, ils peuvent se rendre au village le plus proche et demander à être examinés par l’Aqonti au shan le plus sensible des environs. Celui-ci pourra se donner le temps qu’il estime nécessaire pour observer l’émigré. S’il ne décèle rien d’anormal dans les émissions de celui-ci, il lui offrira une coquille de tramel - un coquillage inhabituel que l’on peut trouver dans les flaques. C’est le signe qu’il est apte à vivre auprès des siens à nouveau.
Dans le cas contraire, il faudra retourner à l’isolement… Beaucoup d’exilés ne supportent pas une nouvelle période de solitude et préfèrent alors repartir à l’étranger.