Le Havre Bleu

C’est dans le Méandre, le plus vieux quartier de la ville de Nepo, que l’on trouve les bâtiments les plus historiquement remarquables. Si le Havre Bleu ne fait pas exception, il est pourtant méconnu et parfois même méprisé. Si l’on se fie à sa façade décrépite et à la qualité indigente de ceux qui y rôdent, on pourrait penser qu’il s’agit d’une ruine oubliée là… Mais ce serait passer à côté de l’un des foyers les plus chaleureux et humains de la capitale, qui plus est porteur d’une histoire riche et complexe.  

Histoire

À l’origine, le bâtiment fut construit pour accueillir une partie des nombreux ouvriers qui travaillaient sur les fondations de Nepo. Les registres indiquent qu’il fut achevé en l’an 87, ce qui en fait l’une des plus vieilles bâtisses de la ville. Au coeur du Méandre se bousculaient architectes, ingénieurs, maçons et autres artisans pressés… Le Havre Bleu servait de quartier général aux experts en hydraulique occupés par l’élévation des grandes vasques qui firent l’identité de la ville.   Avec le temps, des locaux plus modernes et plus spacieux furent octroyés aux ingénieurs, et le Havre fut transformé en cantine. L’établissement était modeste, et nourrissait la caste ouvrière qui s’échinait à élever les structures folles imaginées par les architectes népéens. Il fonctionna ainsi quelques années, et en l’an 114 les urbanistes du quartier proposèrent de le détruire : le bâtiment était vieux et vétuste, et un effort était alors fait pour rénover le Méandre et le rendre plus attractif, à l’image de la capitale qui avait fleuri tout autour.   A leur grande surprise, une violente protestation s’opposa à leur décision : les usagers du Havre Bleu refusaient tout net de voir la bâtisse disparaître. Leurs arguments, cependant, ne tenaient pas plus debout que le bâtiment lui-même… ce qui mit la puce à l’oreille du Serment de Mayhar, qui se mit à investiguer. Leur instinct était fin, puisqu’ils découvrirent un véritable trésor dans la cave scellée.   En effet, le Havre était devenu discrètement le quartier général d’une obscure guilde locale spécialisée dans le larcin, Noss. Avec la complicité des cuisiniers de la cantine, ils y entreposaient le produit de leurs chapardages avant de les revendre sur le marché noir. Les receleurs fuirent sans demander leur reste, abandonnant sur place leurs petites affaires et livrant le Havre Bleu à la justice népéenne.   Le bâtiment ne fut pourtant pas détruit : l’affaire avait fait grand bruit, et la façade céruléenne était devenue un symbole populaire. En outre, on avait découvert que la cave ouvrait sur des chemins souterrains, aménagés dans le secret par les premiers architectes. Ceux-ci semblaient mener à divers endroits de la ville, probablement pour la maintenance à l’époque, mais désormais utilisés par la pègre pour se déplacer au nez et à la barbe du Serment. Ils furent murés, bien entendu.   Ainsi plutôt que la destruction, ce fut plutôt pour le Havre une rénovation qui fut envisagée, mais celle-ci eut à peine le temps de commencer qu’elle était annulée, car le Serment manquait de moyens. On l’oublia… Les autres quartiers de la ville s’épanouissaient tandis que le Méandre devenait peu à peu le témoin des premières pierres népéennes. Enclavé dans son impasse insalubre, le Havre n’avait plus de bleu que dans le souvenir des anciens. Pendant presque 50 ans, nul ne franchit son seuil et il tomba en ruines.   Les immigrants se faisaient de plus en plus nombreux à Nepo, et même si la ville s’étendait à une vitesse frénétique, elle ne pouvait pourvoir à tous ces gens sans fortune venus y faire leur vie. Ces indigents s’insinuèrent dans le Méandre, boudé par le reste de la population népéenne qui lui préféraient les quartiers supérieurs, plus aérés, plus lumineux et plus modernes. Ils y investirent les divers bâtiments abandonnés, et notamment le Havre Bleu. Comme celui-ci était vaste, il accueillit plusieurs familles, qui s’y organisèrent en petite communauté. On rafistola ses poutres effritées, on répara son toit effondré et on passa une couche de peinture fraîche sur sa façade. Par la force des choses, il redevint progressivement un lieu de vie frémissant.   Lors des troubles civils qui agitèrent la ville au début du troisième siècle, il devint l’une des places-fortes de la faction de la Tempérance, faisant de lui un symbole politique cette fois. Lorsque les esprits et les coeurs se calmèrent, le Serment de Mayhar posa une nouvelle fois son regard sur ce drôle de refuge qui refusait sa propre disparition depuis si longtemps, et décida de lui rendre un certain caractère officiel. On lui alloua un - petit - budget, qui servit à transformer l’endroit en lieu d’accueil pour les plus nécessiteux.   C’est encore ainsi que le Havre Bleu est utilisé aujourd’hui.    

Fonctionnement

Il existe plusieurs refuges de ce genre à Nepo, mais le Havre Bleu tient une place particulière : c’est vers lui que l’on redirige plus spécifiquement les enfants et les jeunes égarés. Ceux-ci y trouvent une communauté de leur tranche âge, sous la supervision bienveillante d’Ivoë, un vèdre vétéran de la guerre de l’Orée.   Ils y sont bien traités, car si l’aide pécuniaire du Serment est limitée, la notoriété discrète de l’endroit auprès des népéens lui assure l’arrivage régulier de dons divers. En outre, Ivoë est une véritable force de la nature, dont le charisme tranquille a largement contribué au succès du Havre.   Son système a fait ses preuves : Ivoë a toujours considéré l’éducation et la formation des jeunes sous sa houlette comme une priorité absolue. Il leur fait l’école lui-même, dans la grande salle voûtée, et investit la plupart de ses fonds pour les envoyer se former dans divers corps de métiers.   Les jeunes réfugiés du Havre Bleu vivent chichement, mais ils y ont trouvé une famille - qui bien souvent les suivra tout au long de leur vie. Ivoë les appelle les Egarés, et ce nom est entré dans les mœurs. En général, les jeunes quittent le refuge dès l’instant où ils trouvent du travail, mais ils ne perdent jamais leur lien avec le Havre et reviennent régulièrement pour donner un coup de main, et éventuellement former les nouveaux arrivants à leur profession.   Aujourd’hui, le vétéran se fait vieux, et de plus en plus fréquemment ce sont ses protégés qui prennent soin de lui. La situation inquiète : lorsque celui-ci ne pourra plus s’occuper du Havre, qui prendra sa suite ? Ce destin difficile et altruiste ne motive malheureusement pas les foules…
Date de fondation
87
Lieu Parent
Organisation Propriétaire