La neige n'a pas fondu au printemps 1816, le fleuve s'est à peine séparé de l'emprise des glaces durant l'été. Le fog sur les bas quartiers est plus épais, plaqué au raz les masures. Ce brouillard humide et gras est transformé en véritable gruau glacé qui se colle à vos vêtements, vos cheveux et toute parcelle de peau que vous auriez le malheur de laisser à découvert. Les tempêtes sont courantes, la ville est littéralement ensevelie sous un épais mentaux de neige lourde dont les plus anciennes couches se sont transformées en un épais et rigide tapis de glace. Afin d'ajouter à l'atmosphère, les rares moments où on peut voir le ciel au travers le brouillard et les nuages... on distingue les lueurs des étoiles qui scintillent d'un rougeâtre menaçant et inquiétant. Les mortels, prostrés, meurtris et assomés par des mois de froid disent avec circonspection pour les plus optimiste et une pure peur pour les plus réalistes que, le jour: le ciel est rouge.
Les plus pauvres s'amoncellent dans de petites pièces exigues pour passer la nuit, ceux qui ont le double malheur d'être pauvre et seul sont retrouvés gelés au petit matin. On ne sort souvent que pour travailler, faire ses courses et aller à la messe du dimanche. Entassés devant la chaire, les paroissiens écoutent leur Curé répéter que '' Le Yâb '' se déchaîne et que, la nuit, au travers les bourrasques, on entend ses grondements: gare à celui qui osera défier les appétits du malin car le froid pourrait bien lui offrir la morsure de son dernier repos.
Parlant du malin, les Éternels ne sont pas en reste, oh non... Quand on tend bien l'oreille, à chaque nuit, toute la nuit et particulièrement dans les quartiers périphériques, on peut entendre le hurlement des loups. Les plus anciens du Domaine savent à quoi s'en tenir, ils sont là: les loups, ils appellent leurs repas, les loups. Dans les campagnes, il n'est pas rare qu'un paysan rapporte avoir vu des traces de pas d'une bête immense et immonde et du rouge au travers le blanc immaculé de la neige: trace que La Bête est passée par là. Toutes les traces conduisent vers les menaçantes forêts qui ceinturent la cité et personne n'ose y mettre le pied, pas même les chasseurs ou les bucherons même si... avec la mauvaise récolte de l'année, on aurait bien besoin d'un apoint en viande et de bois de chauffage.
Seul les Wendates s'aventurent dans les bois, le Long Hiver n'est que la vengeance du Grand Esprit qui maudit l'homme blanc, disent-ils. Les Hurons n'ont pas peur des loups et les venaisons qu'ils rapportent au marché du centre-ville, fruits de leurs chasses, se vendent à prix d'or.
Enfermé dans ce carcan de givre, le Domaine est à cran. Chasser n'est pas chose facile lorsqu'il n'y a personne dehors. Les Lasombras n'ont pas pris la mer depuis plus d'une année et ils tournent en rond... pour ne pas dire qu'ils mangent les murs. Les membres du Culte recherchent dans les écrits anciens une trace d'un tel phénomène afin d'expliquer ce qui frappe le Domaine: a-t-on déjà vu un hiver aussi rude? Aussi long? Se terminera-t-il enfin? Certains commencent à chuchotter que se serait le fait des Tremeres, voulant isoler la ville dans une forteresse de glace pour se protéger des menaces extérieures.
Comble de l'ironie, le Prince de Montréal qui n'était pas venu délivrer son tribut tel que prévu en 1813 à cause de la guerre qui faisait alors rage s'est vu obligé par la Sénéchaussée de profiter des quelques semaines de dégel pour faire le voyage, mais il s'est retrouvé piégé à Québec avec une partie de sa cour. Comme si on avait pas déjà trop de bouche à nourir, il faudra en plus subvenir aux caprices de la Royale Rose de Montréal. La Couronne de Boston s'est-elle perdue en route? Apparaîtra-t-elle comme un pesant cheveux sur la soupe? L'accueil pourrait être glacial car la soupe est gelée depuis longtemps. C'est dans cette ambiance que Sa Majesté Ohanzee convoque l'Élysée de 1816, dans la lointaine Maison Longue au tréfond de Wendake afin d'entendre de plus près les hurlements des loups: Peut-être tient-il à vous rappeler qu'il est votre ultime rempart face à cette menace qui gronde?
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