La Terreur

1834
31/10

  Le souffle court, les mollets en feu; sa cape rouge soulevée par sa course haletante. Elle ne ralentie pas, motivée par les aboiements des chiens derrière elle qui la poursuive sans relâche, chassant en meute. Elle bifurque dans une ruelle glissant sur la neige devenue coulante par les nombreux pas des bourgeoises passées plus tôt dans la journée. Elle saisit avec force le coin briqué du mur de la devanture de la boutique chic des beaux quartiers afin d'assurer que son élan la conduira dans la bonne direction car elle sait qu'elle n'est qu'à une fausse note de la catastrophe. La course reprend, le clapoti de pas pressés ressemblant de plus en plus aux atermoiement de quelqu'un en train de se noyer alors que les aboiements resserrent leurs étaux autour d'elle. Avec l'agilité d'un chat, elle bondit sur une caisse et bondit pardessus une clôture, émerge sur une place; bondit avec adresse pardessus chacun des bancs de parc sous les regards du Chien d'Or perché sur la devanture du bureau de poste avant de grimper 3 par 3 les marches de l'escalier de la porte Prescott en remettant sa capuche de laine rouge sur sa tête, les petits flocons d'une neige paresseuse venant doucement s'écraser sur ses joues et le bout de son nez pointue et fin étant le seul réconfort de cette nuit crue comme la mort. Après la porte, un bastion en forme d'étoile avec de vieilles pièces d'artilleries alignées; elle enjambe la première, saute sur le créneau des murs du bastion sans ralentir. Une meute apparaît sur la place du bastion, elle évalue ses options en vitesse puis saute dans le vide, atterri en catastrophe sur un toit en pente plusieurs mètres plus bas, n'arrivant pas à s'accrocher, la neige molle se brise et l'emporte avec elle dans sa chute qui se poursuit vers le toit d'un balcon qui craque sous le choque puis une haie gelée qui est éventrée sous son poids. Par réflexe et sous l'adrénaline, elle ne prend pas le temps de penser et se redresse, mais elle retombe aussitôt: Une cheville n'a pas tenu le choc. Elle comprend, sa course s'arrête ici, elle verse une larme, une seule; en silence puis, résigné: elle s'étend sur le dos et retire doucement sa capuche rouge afin de découvrir sa chevelure et ses traits aquilins oubliant pour ses derniers instants les aboiements des chiens, offrant sa peau aux paresseux flocons de son pays d'hiver qui s'écrasent comme une taquine caresse un par un sur ses joues. Elle ne leur offrira pas sa détresse. Lorsque le premier talon de botte s'écrase sur ses traits doux, elle sert les dents, ferme les poings et attend la fin, sans crier; sans laisser tomber sa dignité. Déjà partie, leurs cris n'y changeraient plus rien. Ses paupières se fermèrent une dernière fois sous une pluie de savates et d'insultes qui déformèrent son visage, mais pas son âme. Elle se concentra plutôt sur les éphémères et momentanés petites caresses froide, comme des petites aiguilles tentant d'être un baume à l'effroi. Puis... plus rien. Le lendemain, un vent ''à écorner les boeufs'' faisait claquer comme autant de voiles la cape rouge des femmes portant la tenue désormais impies de leur colère observant en silence sous la porte de la potence le corps accroché la corde au cou dans un grotesque simulacre ne trompant l'oeil d'aucune: La corde n'était que l'insulte ajoutée à l'injure, son visage affreusement déformée par les coups qui étaient sans équivoque ce qui avait provoqué la chute de l'Ange. Certaines découvraient le spectacle avec une stupeur se transformant bientôt en colère; d'autres avaient déjà répondu oeil pour oeil dent pour dent au seul langage que comprennent les loups. Au-dessus du rempart servant de dernière demeure à leur camarade martyrisée, elles fixent avec une haine indicible les Hates qui gardent le passage vers la haute cité; satisfaite de bientôt voir s'élever derrière eux un épais panache de fumée noire comme l'âme de ces diables alors que les rejoigne bientôt 4 autres chaperon rouge, dont leur dernière recrue. Une époque incapable de comprendre leur colère leur avait coûté une soeur, mais elles en gagneraient d'autres... tant que le temps ferait la sourde oreille à leur douleur; tant que le monde n'aurait qu'ignorance à offrir en guise de dignité, il n'aurait que pour seul écho, que pour unique réponse: La Terreur.