ÉTÉ 418
La récolte
d'histérioles avait été bonne, et les
gnomes festoyaient bruyamment au son des rires, des chopines s’entrechoquant et de la cornemuse. Quand les musiciens finirent leur représentation, un silence d’or s’installa dans
Trouagemme , et tous les regards se rivèrent sur Bouïak, un jeune
gnome relativement trapu qui s’était levé abruptement de sa table.
"Cette fois-ci, je battrai le record de Manolito Ferpoigne au lancer de tonneau." S’exclama t-il en enfilant des gants et en pointant du doigt un nain borgne, torse-nu avec une barbe hirsute, et portant des lanières de cuir autour de ses biceps puissants. Impassible, ce dernier ne détournait pas son regard des cercles de fumée qu’il faisait avec sa pipe.
"Si c’est pour la faire se briser sur ton pied comme l’année passée ne te gêne pas vas-y ! Ce n’est toujours pas comme ça que tu séduiras Gouecka mon ami;" répondit Manolito d’un ton joueur, provoquant quelques esclaffades venant des trouagemmeois les plus saouls.
"Gouecka," commença Bouïak d’un ton résolu," si je parviens à briser ce tonneau de l’estrade, je te dédierai cette victoire !"
La charmante
gnome vit ses tâches de rousseur se fondre dans l’alchimie de timidité et de surprise qui se produisait sur son visage, et elle retourna un sourire maladroit à Bouïak. Ce dernier, se sentant pousser des ailes, gravit solennellement la majestueuse estrade de bois d’où les musiciens et conteurs s’étaient produits et fit signe à l’assemblée qu’on lui apporte un tonneau. Trois
gnomes lui apportèrent non sans difficulté un quartaut rempli de vin nouveau. Les règles du jeu étaient simples. Il fallait soulever la barrique et la jeter en la faisant se retourner et s’écraser dans un bassin de pierre vide encerclant le grand arbre du village, duquel on boirait ensuite le vin pour inaugurer la dégustation des vendanges tardives. Chaque année, pendant la fête de
l'histériole , on replaçait l’estrade légèrement plus loin d’où le record a été battu. Le record de Manolito Ferpoigne tient depuis plus de 20 ans, où il avait fait s’écraser la barrique à 3 mètres du bassin.
Le
gnome souleva haut la barrique à bout de bras en grinçant des dents, faisant taire les quelques âmes les plus moqueuses, et avec un élan vif du bassin et de ses bras projeta la barrique, qui se retourna et s’écrasa dans le bassin de pierre.
Les applaudissements et les cris surgirent, l’exploit était remarquable et les
gnomes ébahis ne se contenaient plus. On s’embrassait, faisait la ronde, et les plus assoiffés se ruèrent dans le bassin, remplissant leur chopine pour étancher leur soif. Le
nain laissa tomber sa pipe bouche-bée, et Gouecka qui n’avait jamais vraiment éprouvé d’attirance pour Bouiäk ne put s’empêcher de l’applaudir avec des yeux pétillants, emplis de reconnaissance.
Bouïak ne réalisant toujours pas, descendit de l’estrade arborant un sourire benêt et rejoignit ses amis qui l’attendaient les chopes de vin remplies à ras bord.
Alors que la soirée repartait de plus belle et ne semblait que commencer, le nain s’approcha du nouveau champion.
"Félicitations Bouïak, je dois t’avouer que je ne pensais pas voir ça de mon vivant, mais félicitations !" dit Manolito avec une pointe de déception dans la voix.
"Je te remercie, Manolito ! Allons, buvons mon ami, la nuit est courte et le vin est délicieux !" lui répondit le gnome en lui tendant une chopine de vin.
"C’est vrai, je ne devrais pas attendre un instant !" reprit fortement le nain , qui visiblement semblait avoir rangé sa rancoeur au moment où son regard s’est posé sur l’alcool. " Prends ça, tu m’as battu, tu le mérites ! " s’exclama t-il en sortant de sa poche une magnifique gemme rouge dont l’éclat était si intense qu’on aurait juré qu’une faible lueur s’en dégageait.
Cette gemme est magnifique Manolito, je ne crois pas en avoir vu de si belle dans tout le village ! C’est vraiment trop d’honneur, je te remercie infiniment.
Y’a pas de quoi ! Maintenant profite de ta jeunesse, j’ai bien l’impression que cette soirée est la tienne…
Le nain montra de ses yeux remplis de malice la petite Gouecka qui était assise seule dans l’herbe un peu en retrait, son verre à la main.
Le champion donna à Ferpoigne une tape amicale puis prenant la gemme, et son courage à deux mains, alla rejoindre Gouecka.
***
HIVER 437
- « Bouïak ! Ca vient, je crois que ça vient ! » hurla Gouecka, prise de douleurs lancinantes dans le bas-ventre.
Bouïak bondit de son fauteuil et accourut dans la chambre.
« Je.. J’arrive ! Je vais chercher du linge ! » répondit Bouïak stressé, en regardant sa femme qui était déjà couchée sur le lit. Il partit en trombe et revint quelques minutes plus tard avec du linge et l’assistance de quelques gnomes curieux. Gouecka avait déjà perdu les eaux et Agïa lui appliqua une serviette fraîche sur le visage.
« Ca va bien se passer Gouecka, rassure-toi, le premier accouchement fait toujours un peu peur, mais on est là » lui dit-elle avec un sourire rassurant, en faisant signe aux quelques autres gnomes de se reculer un peu. Agïa en était à son huitième accouchement, et avait pour habitude d’être celle que les maris apeurés venait chercher pour les épauler.
Après de longues heures de labeur, des pleurs se firent soudainement entendre et le bébé était né. Bouïak le prit timidement dans ses bras, comme pour ne pas le heurter, et remplit de fierté laissa échapper quelques larmes de joie. Les
trouagemmeois adressèrent leurs félicitations aux nouveaux parents, et partirent ameuter tout le village au domicile des parents comme il était de coutume à ici. Le charmant trou à gnome était assez grand mais pas pour contenir tous les villageois, ainsi certains installaient des tables autour de la maison, afin que tous puissent participer à cet heureux évènement. Ils apportèrent tous quelques modestes dons à la famille. et firent rôtirent des moutons.
« Alors, comment appellerez-vous l’enfant ? » demanda l'un impatient de connaître la réponse.
Le couple se regarda un instant, connaissant déjà la réponse, et Gouecka ouvrit son poing, qui serrait fortement une magnifique gemme rouge.
« Nous l’appellerons Manolito, susurra Gouecka exténuée.
Nous voulions perpétuer la coutume. Manolito en hommage à Manolito Forgefer sans qui nous ne serions pas ensemble aujourd’hui. Et aussi car son décès nous prive tous de sa bonne humeur et de ses moeurs étranges qui ont pu nous enchanter plus d’une fois » renchérit Bouïak, qui plaça l’enfant dans les bras de sa mère.
Les
gnomes lancèrent quelques toasts et une longue journée de grillades, de rires et de chants pour célébrer la venue d’un nouvel être dans le village, s’ensuivit.
***
AUTOMNE 476
« Voilà qui devrait marcher ! » s’enthousiasma Manolito, relevant ses lunettes de protection.
Le
gnome , le teint relativement blême admirait sa création de métal. Un énorme appareil de bronze rempli de rouages sur roues en bois. Il y avait deux grosses barres de fer sur le devant, de la tuyauterie étrange, et de grandes dents en acier à l’arrière du véhicule. Le tout étant monté sur une petite cabine de pilotage.
- "C’est donc comme ça que tu veux échapper à ton travail à la ferme ?" demanda sarcastiquement Pagoustiak, qui s’avança pour toucher la machine et l’inspecter, assez sceptique quant à sa fonctionnalité.
"Ne le touche pas, c’est une machine très sensible. Il faut tout de suite avertir le Conseil et le tester !" s’écria Manolito qui ne tenait plus en place.
Le ? « Le » tester ?
Une si belle oeuvre mérite un nom.
Manolito marqua une pause, le regard pensif, puis s’exclama :
le Laborobot 3000 .
Laborobot 3000 ? Voilà un nom absolument ridicule. Pagoustiak faisait les cents pas autour de l’engin.
"Migouik qui siège au Conseil m’avait donné quelques indications sur le fonctionnement d’une machine de même genre, mais plus rudimentaire qui existait à Gredinette. Je n’ai fais que l’améliorer et rajouter quelques fonctionnalités pour élargir son champ d’action." Manolito ravalait sa salive, parlant à toute vitesse en faisant de grands gestes avec ses mains. "Il s’agissait du « Laborobot 2000 » je ne fais que suivre la tradition en l’enrichissant mon cher ! Allez viens !"
Après ce court échange Manolito entraina Pagoustiak avec lui en sortant de sa grange, en allant chercher un à un les 10 membres du Conseil, puis en les amenant dans sa grange.
Il leur exposa comment l’engin marchait et quelles adaptations ils devraient mettre en place dans les champs pour qu’il marche. Le principe était relativement simple, il s’agissait d’une sorte de charrue à moteur à vapeur pouvant labourer automatiquement, presque sans intervention externe un champ. Le mécanisme était étudié pour fonctionner de façon optimale sur des champs de 200m sur 200m (due à la capacité du moteur et à la taille des dents faisant 10m). Il fallait installer 20 piquets autour du champs ainsi qu’une pièce de métal spéciale sur ces piquets. En activant le moteur, la machine allait labourer en ligne droite, puis sa grande tige en métal allait s’insérer dans une des pièces prévues à cet effet une fois qu’elle arriverait à une extrémité du champ, ce qui enclencherait un mécanisme grâce à un ingénieux système de piston qui ferait tourner la machine puis lui faire faire un demi tour et ainsi de suite jusqu’au dernier piquet, qui serait disposé légèrement différemment de telle sorte qu’une autre tige s’y enfonce. Cette dernière faisant s’arrêter la machine. L’intégralité d’un champs de précisément 200m sur 200m pouvait ainsi être labouré en l’espace de 30 minutes seulement, et ce en ayant pour seule action humanoïde de recharger le moteur au début et d’appuyer sur un levier pour le mettre en marche. Bien évidemment ce véhicule pouvait aussi être conduit afin de l’amener plus facilement à un champs.
Le Conseil semblait ravi par l’idée, et tout de suite, il fut demandé une démonstration pratique par Manolito. Ce dernier se rendit dans son véhicule et alors que tout le village avait été rameuté par le raffut qui se faisait, le gnome rentrant dans la cabine de pilotage, actionna le levier de l’engin et tous les rouages du véhicules se mirent harmonieusement à s’imbriquer et se désimbriquer continuellement dans un fracas métallique. La vapeur d’eau s’échappait des tuyaux et le véhicule avançait à petite allure devant les yeux ébahis de l’audience.
Ce jour-ci Manolito fut payé de nombreuses gemmes, et son travail à la ferme lui fut retiré. Il allait désormais travailler comme ingénieur, pour réfléchir aux diverses innovations qu’il pourrait créer pour améliorer la vie du village et de ses habitants.
***
La boisson coulait à flot et l’odeur du
Mouton à l'histériole en croûte ravissait les narines de nos joyeux gnomes. Un gnome chauve aux yeux verts scintillants et aux traits marqués, portant une coquette veste rose monta sur une barrique sur l’estrade de bois, et fit signe à la foule de se taire, en tapant fortement une casserole avec une louche en bois. Une fois le silence installé, il posa ses ustensiles et leva haut son verre.
Portons un toast à nos amis. Portons à toast à Pagoustiak à Chougya et à Manolito. Grâce à eux, nous n’avons pas eu à faire la récolte de cette saison. Grâce à eux nous avons pu mobiliser tous ceux qui travaillent dans les champs aller récolter l’histériole. Grâce à eux, Kevan, non sans courage a su trouver des chemins encore plus reculés dans les montagnes, où nous avons découvert encore plus d’histérioles. Et nous voilà ici, pour inaugurer cette grande fête. Gloire à eux. Gloire à Pagoustiak, à Chougya, à Manolito et à Kevan !
Les cris et sifflements se firent entendre, suivi de bruits sourds de verres s’entrechoquant, et de mastication. Manolito était assis à côté de ses deux compères et dévorait son mouton à l’histériole. Il était succulent.
Je n’en reviens pas. Vous pensez qu’on pourra faire quoi maintenant ? Après la récolte de blé, qu’est-ce qu’on pourrait réussir à faire d’autre ? demandait Chougya, la gnome à ses deux amis.
Un mécanisme qui nous ferait rester au lit à longueur de journée tout en nous emplissant la bouche de ce délicieux vin et de mouton ? plaisanta Pagoustiak tout en s’empiffrant généreusement.
Je pense qu’il faudrait qu’on…
Manolito s’interrompit soudainement. Des cris horrifiés éclatèrent, les verres volèrent et les gnomes se mirent à courir dans tous les sens. Une trentaine d’
orcs armés jusqu’aux dents apparurent et attaquèrent les gnomes. Manolito courut allant se réfugier derrière un petit mont relativement caché et s’arrêta là. Il se tapit sur le sol et se retourna, de manière à voir ce qui se passait. Il vit les
orcs piller les gemmes ornant les allées, trous à gnomes et les arbres du village. Les
gnomes terrifiés, s’enfuyaient en courant, mais une bonne quarantaine furent attrapés par les bêtes sauvages, qui les rouaient de coups et les ligotaient. Le coeur de Manolito battait à toute vitesse et il cherchait du regard ses amis et ses parents, sans pouvoir les trouver. Un
orc qui ligotait une
gnome fut pris par surprise par Kevan qui jaillit de l’ombre et lui asséna un coup de poignard à la jambe, voulant sauver sa femme. Furieux, le monstre abattit sauvagement son épée sur Kevan, qui tomba raide mort sur le sol. Puis dans un élan de rage, il tua aussi sa femme, et le doyen du village, qui tentait de s'enfuir tant bien que mal mais qui n’avait plus ses jambes d’antan. C’était la mort du dernier
gnome ayant vécu à Gredinette avant l’exil. Manolito, pétrifié de peur fut pris de sanglots, qu’il essaya de contenir le plus silencieusement possible. Un grand
orc à capuche, à la peau rouge, tatouée de symboles étranges apparut soudainement et il hurla quelque chose en orc qui fit s’arrêter tous les autres. Ils se mirent à genoux, certains ayant jusqu’à 3 gnomes inconscients dans les bras. Puis il fit geste à celui qui avait tué de s’avancer. Ce dernier s’exécuta, et une lueur éblouissante jaillit des mains de l’
orc rouge. Sa
magie pénétra son congénère assassin et le tua. Il hurla quelques mots aux siens puis à la fin de ce qui semblait être une liste de commandements, ils lachèrent les
gnomes pour la plupart inconscients, remplirent de gemmes de larges sacs et ils partirent tous.
Manolito attendit quelques minutes, rongé par la peur, puis quand il était certain que plus aucun ennemi n’était dans les environs, il accourut au centre du village. Il découvrit sa mère et quelques autres en train de défaire les liens des villageois ligotés.
« Ton père ! Ton père, regarde-le, il est mort » dit-elle en pleurant. Manolito sentant son coeur chavirer s’approcha de son père et pris son pouls. Il était vivant, mais très amoché. Comme beaucoup d’autres. Les heures suivantes furent longues mais au fur et à mesure tous les gnomes étaient revenus à la conscience, et ceux s’étant enfuis de retour. Ils pleuraient tous, se prenant dans les bras pour se réconforter, et une masse de plus en plus grande se formait autour de la dépouille de Kevan, de sa femme, et du doyen; en pleurant leur perte.
« Que s’est-il passé ? Pourquoi ont-ils fait ça ?! » hurla une gnome à l’assemblée.
Un villageois relativement âgé, qui avait appris l’orc s’avança et se mit à parler les larmes aux yeux.
« Les gemmes. Ils sont venus pour nos gemmes. Celui qui semblât être le chef, a fait tuer l’orc qui a tué nos amis car il n’avait pas obéi. Ils veulent seulement nos gemmes. Mais… mais ce n’était que le début » il éclata en sanglots à cet instant ne pouvant continuer. Quelques gnomes vinrent le réconforter en l’encourageant à poursuivre:
« Ils feront de nous des esclaves. L’ orc rouge leur a dit que le nombre de gemmes était bien trop insuffisant, et qu’ils reviendraient. »
Qu’allons-nous faire ? demanda l’un.
Il nous faut fuir, partir loin ! répondit l’autre.
Je.. je crois que nous ne pouvons pas… J’ai une confidence à vous faire, quand nous étions en quête d'histérioles avec Kevan. Nous nous sommes aventurés très loin dans les montagnes et nous avons été repéré par un orc . Nous avons pu nous enfuir mais je crois que c’est à cause de ça qu’ils … qu’ils ont repéré notre village. Ils ont dû nous pister…
Les murmures emplirent la nuit silencieuse et le
gnome à la veste rose qui avait porté le toast au début de la fête prit la parole de sa voix puissante et grave.
Silence ! Conseillers, réunissons-nous, les autres, soignez les blessés et réparez les dégâts.
Les 10
gnomes se réunirent un peu plus loin dans la salle du conseil, et chaque autre villageois s’exécuta.
De longues minutes passèrent. Manolo était dans le trou à gnome de ses parents au chevet de son père avec sa mère. Les dégâts dans la maison étaient considérables. Les meubles renversés, les gemmes pillées, le garde-manger dévasté.
« Ont-ils pris *la*, il insista sur le « la », gemme ? » demanda Bouïak en regardant Gouecka et Manolito.
« Je vais voir » répondit Manolito.
Il alla fouiller dans le coffre explosé dans le salon. La majorité de leurs biens les plus précieux étaient là. Les gemmes de valeur avait été prises. Manolito actionna un discret bouton dans le coffre qui ouvrit un espace dérobé en son sein. Elle était là. La faible lueur rouge de la gemme soulagea Manolito qui la replaça au même endroit et revint dans la chambre.
Ils ne l’ont pas trouvée Père, elle est là.
- "Le Conseil a décidé ! Le Conseil a décidé" une voix accompagnée d’un tintement de cloche parcourait le village.
- "Va voir Manolito, je m’occupe de ton père » dit Gouecka à son fils, pendant qu’elle faisait un bandage autour de l’épaule disloquée de Bouïak.
Manolito se rendit sous le grand arbre, et une fois que suffisamment de
gnomes étaient réunis, le villageois à la veste rose prit de nouveau la parole.
Nous avons décidé d’envoyer Noubiska aller chercher Godron. Il partira demain à l’aube et nous espérons que son voyage sera le plus bref possible. Nous ne pouvons nous battre contre tant d’ orcs , ce serait déraisonné, et une décision bien trop prompte, ne connaissant rien de nos adversaires. Fuir serait aussi insensé, Pouka et Dougbo nous ont indiqué qu’ils ont monté un campement à flanc de montagne à quelques kilomètres d’ici. Leurs intentions ne semblent pas meurtrières, ils n’ont l’air d’avoir d’intérêt que pour les gemmes. La décision la plus sage pour le moment est de leur en fournir en attendant d’en savoir plus sur eux et sur le retour de Godron.
Certains dans l'assemblée semblaient objecter, mais la large majorité se taisait respectant la décision du Conseil. Ils n’avaient jamais connu la guerre, ni n’avaient reçu aucune formation militaire, à l’exception des 5 qui occupaient la fonction presque parodique de « garde » n’ayant guère plus de formation qu’aucun autre, aucun trouble n’ayant agité
Trouagemme auparavant. Le calme revint lentement, et tous se dirigèrent vers le petit autel dédié à
Garl Glittergold . Ils enterrèrent là leurs morts et prièrent toute la nuit, pour qu’il leur accorde sa protection.
***
Hiver 491
« Cela fait 3 ans, Manolito ! 3 ans qu’on est là à miner, à bouffer du pain rassis si l’on est chanceux ou à chasser des rats entre deux coups de pioches ! Je n’en peux plus ! » gémit Pagoustiak, le teint blême, en balançant violemment sa pioche contre la paroi qu’il minait et en se laissant tomber sur le sol en pleurant. « 3 ans ! 3 ans que notre vie a été anéantie, 3 ans que ce foutu Kevan s’est fait repérer et qu’il nous a mis dans cette merde ! ».
A cet instant la gorge de Manolito se serra et il ne put s’empêcher d’éprouver des remords et de se sentir coupable. Si Chougya Pagoustiak et lui n’avaient pas perfectionné le Laborobot 3000, il n’y aurait jamais eu autant de gnomes pour récolter l’histériole dans les environs, et aucun besoin d’aller s’aventurer si loin dans la montagne pour en ramener encore plus, et tomber… sur des
orcs . Il posa sa pioche et las s’assit lui aussi contre la paroi du tunnel de l’immense mine, le regard vide fixé sur une crevasse rocheuse dans la paroi opposée.
Je ne sais pas Pagou… Je ne sais pas pourquoi ces orcs veulent nos gemmes, pourquoi ils deviennent de plus en plus intraitables avec nous, pourquoi ils ont tué Agïa l’autre jour, et je ne sais pas ce que fait ce foutu Noubiska et pourquoi lui et Godron ne sont pas là depuis bien longtemps déjà. Tout ça m’épuise.
Tu sais, j’en ai entendu un parler hier, je crois qu’ils savent ce qu’on prépare…
Quoi ? Ils ont trouvé les armes ?
Non, mais de ce que j’ai compris ils ont remarqué que leur inventaire avait diminué. Joka ne s’est pas fait repéré sinon c’est lui qui aurait été tué à tous les coups, mais je pense qu’ils ont exécuté Agïa à titre d’exemple. Ils sont nerveux, ils savent qu’on prépare quelque chose et font tout pour nous terroriser.
Dans tous les cas, souviens-toi de ce qu’a dit le Conseil. Demain avant l’aube… nous allons chercher les armes dans la cache de la mine nord, et on se bat. Il faut qu’on se...
Pagoustiak fut interrompu par un énorme grognement. Un
orc d’au moins 2 mètres un fouet à la main et une hache dans le dos rugit en voyant Manolito et Pagoustiak sur le sol arrêtant de miner. Les deux, la peur au ventre se ruèrent sur leur pioche et se remirent à miner à une vitesse acharnée, mais il arriva et tout en proférant gutturalement un charabia incompréhensible, les fouetta et les fouetta encore, jusqu’à ce que Manolito le souffle coupé et le corps endolori tomba au sol, luttant pour reprendre sa respiration. A cet instant, Pagoustiak frappa la bête de toute sa force avec sa pioche. Ce dernier s’arrêta net, plus surpris par l’audace du gnome que par une douleur quelconque, puis lâchant son fouet se rua sur Pagoustiak, dégainant sa hache. Manolito eut à peine le temps de reprendre ses esprits qu’il prit sa pioche et chargea l'ennemi avec. Déséquilibré l'
orc manqua son coup, et Pagoustiak et Manolito parvinrent à le mettre à terre. Mais ce faisant, ils glissèrent avec leur assaillant dans le précipice rocailleux.
Manolito ouvrit les yeux pour découvrir un Pagoustiak le visage ensanglanté lui donnant des claques.
«Ah enfin ! Que Garl Glittergold soit loué, tu es en vie !" dit Pagoustiak. Manolito avait terriblement mal au dos et avait du se casser plusieurs côtes.
- "Où est l’
orc que s’est-il passé?" demanda Manolito hébété.
Il est tombé la tête la première. Il est mort sur le coup. J’ai réussi à me retenir contre la paroi avant de tomber, ça a amorti ma chute. Ca doit faire des heures et des heures qu’on est là. J’ai tout essayé… C’est beaucoup trop haut, il y a une dizaine de mètres et la paroi est beaucoup trop glissante pour avoir une prise…
Manolito essaya de se redresser tant bien que mal en grimaçant.
Tu crois qu’ils ont lancé l’assaut ?
Je ne sais pas, mais on doit avoir largement passé l’heure… Il faut qu’on réessaye, à deux on pourrait peut-être réussir à monter.
Manolito se leva et cria retombant au sol, son dos empêchait toute sorte de mouvement.
« Je suis foutu Pagoustiak… Je peux rien faire… » dit Manolito les larmes aux yeux, puis les deux se murèrent dans un long silence ne sachant quoi dire ni quoi faire. Puis Manolito se mit à hurler à l’aide. Pagoustiak l’accompagna, les deux se brisant la voix, répétant ces mêmes mots « A l’aide ! A l’aide » pendant des heures, puis s’endormirent exténués.
Ils furent réveillés par une voix familière :
Ils sont là ! Ils sont là ! Allez me chercher une corde qu’on les remonte.
C’était la voix de Chougya. Le visage des deux gnomes s’illumina au son de sa voix. Une corde descendit et après quelques minutes de tir à la corde ils parvinrent à les remonter. Chougya se jeta dans leurs bras:
- Je croyais que vous étiez morts.
J’ai bien cru que Manolito l’était aussi, répondit Pagoustiak.
Merci Chougya. Où sont les autres, que s’est-il passé? Y a t-il eu l’assaut ?» demanda Manolito inquiet.
La
gnome ne répondit pas, et se mit en marche pour sortir de la mine, Manolito et Pagoustiak s’attendaient au pire.
Ils découvrirent à la sortie une vision d’horreur. ils virent de nombreux cadavres sur le sol, d’orcs et de gnomes. Il devait y avoir une vingtaines d’orcs sur le sol, et une soixantaine de gnomes décédés. La vision macabre fit vomir Manolito, qui chercha des yeux ses parents parmis les survivants, mais ne les trouva pas. Son coeur battait la chamade, et il eut l’impression qu’il s’arrêta un instant, en découvrant sur l’herbe fraîche, la dépouille de ses parents. Il ne prêtait plus attention à personne l’espace d’un instant pleurant toutes les larmes de son corps en s’asseyant auprès d’eux.
Au bout de quelques instants une main s’offrit à lui :
- Je sais que c’est dur, mais tout ce clan d’
orcs n’est pas mort, d’autres vont arriver. Le Conseil m’a dit que tu étais quelqu’un de doué, j’ai besoin de ton aide.
Manolito leva ses yeux pour fixer le gnome. Il portait une robe bleue, avait un bâton dans une main, et une sorte de turban dans ses cheveux. Il s’agissait de Godron le mage.
Printemps 492
Manolito marchait le long de l’allée principale du
village , et se rendit sur les remparts. Godron était en train de parfaire les enchantements autour de la nouvelle muraille. Elle était haute de 10 mètres, et emmurait tout le village.
- "Cette pierre est fantastique. Ces murailles ont l’air imprenable, je suis vraiment épaté", dit Manolito à Godron.
"Cela tiendra un bon moment, mais rien n’est jamais éternel" , répondit Godron regardant l’horizon, "m’as tu rapporté ce que je t’avais demandé de chercher ?" demanda le mage en tournant son regard vers le moustachu.
"Les voilà. Ca n’a pas été facile de les trouver." Manolito donna à Godron 3 gemmes rouges brillant d’un petit éclat vif.
"Parfait, maintenant nous pouvons passer à la dernière étape et voir si le corps de ces golems que tu as créé s’animera. » s’enthousiasma Godron.
Ils quittèrent les remparts et se rendirent dans le village, à côté du trou à gnome de Manolito où gisaient 3 golems faits de pierre, et de bronze. Godron incrusta les 3 gemmes sur chacun d’entre eux, puis se tourna vers son compère:
- "Bien, je vais commencer l’enchantement, dans une heure ce sera terminé. » Il attendait visiblement que Manolito parte.
« Je veux rester. Laissez-moi voir. » répondit Manolito insistant.
Le mage fut surpris mais toléra la présence de Manolito. Il traça des cercles avec des formes et des symboles de toute sorte sur le sol autour des golems, et commença une longue
incantation dans une langue que Manolito ne comprenait pas.
Néanmoins le gnome discerna certains mots, et put remarquer une certaine corrélation entre certains mots et certains symboles. Il continua d’étudier scrupuleusement les signes et prêta grande attention à l’incantation du mage dans un silence religieux. Quand tout à coup le mage se tût. La lumière émanant des gemmes s’intensifia très fortement et les golems d’une hauteur de 3 mètres 50 se levèrent, postés au garde à vous devant Godron.
Vous êtes au service de Trouagemme et de ses habitants. Commencez votre patrouille autour de la muraille prononça Godron, et les golems s’exécutèrent marchant lentement de leur pas de géant vers la muraille. Manolito était absolument époustouflé par ce spectacle.
C’est incroyable ! Comment avez-vous fait ça ? demanda Manolito ébahi.
Ah ça, ça s’apprend pas en claquant des doigts, répondit Godron amusé
J’ai juré avoir pu discerné quelques corrélations entre vos dires et les symboles tracés sur le sol, dit Manolito sur la défensive.
Godron lui retourna un regard interloqué. Manolito poursuivit lui expliquant ce qu’il avait compris, et le mage fut pour la première fois réellement intrigué.
- Et bien ! Je ne dirais pas que tu as saisi le quart de ce que j’ai fais, mais déjà infiniment plus que le commun des mortels. Si tu tiens tant que ça à découvrir les secrets des arcanes je pourrai t’apprendre mais ça prendra du temps, très longtemps.
Je suis prêt, j’ai tout le temps qu’il me faut. Je passe mon temps à essayer de comprendre comment fonctionnent les choses, je suis prêt.
Et ainsi, Godron prit Manolito sous son aile et commença à partager son savoir des arcanes avec lui.
Show spoiler
Pendant 20 ans, Godron enseigna à Manolito la langue des arcanes, leur nature, leur fonctionnement, le lien entre la volonté et la matière. Il n’était pas souvent dans le village, et se contentait surtout de lui donner des livres à déchiffrer, des recommandations et aussi des lectures philosophiques qui au départ ne semblaient pas nécessairement renfermer un quelconque savoir magique mais qui à force de relectures, contenaient des vérités utiles pour manier la magie. Il y avait aussi beaucoup de livres sur les Dieux, et leur trahisons. Une trahison que Manolito pouvait constater en se rendant chaque année sur la tombe de ses amis, de sa famille et des nombreux villageois tombés lors de l’assaut de 491. Glittergold n’ayant pu empêcher la mise en esclavage des siens par les orcs, et étant resté sourds aux prières désespérées des villageois.
Godron devait revenir dans les jours qui suit et avait annoncé à Manolito qu’il devrait lui parler en personne. Il était tard, Manolito travaillait sur une amélioration du Laborobot 3000 dans son atelier, quand Chougya, rentra.
Tu es encore sur ça ? Tu devrais te reposer un peu tu sais… et t’occuper de moi aussi, dit-elle avec un regard attendrissant et un ton joueur.
- Tu as raison, ça attendra demain ! dit Manolito, qui se leva et l’embrassa langoureusement.
Le couple se réveilla brusquement par un toc à la porte. Chougya se leva et alla voir.
Bonjour Godron. Il est là, oui un instant… Manolito! lança Chougya en direction de la chambre.
Le gnome se leva et se rendit à la porte.
Bonjour Manolito, cela fait longtemps. Nous avons beaucoup à nous dire, dit le mage en souriant
Maître, c’est un plaisir de vous voir. Je m’habille et j’arrive, s’écria Manolito excité de partager ses avancements dans les arcanes à son Maître.
Il s’habilla, se rendit à la porte et accompagna Godron lors d’une ballade sur les remparts en observant les golems.
- J’ai quelques questions quant à la relation entre la nécessité et la modalité d’un état arcanique lorsque… , commença Manolito, coupé par Godron.
Nous parlerons de ça plus tard mon ami. J’ai d’importantes nouvelles à partager avec toi, dit Godron le regardant l’air grave.
Qu’y a t-il ?
Tu te souviens quand je te parlais de m’aider un jour ? Je connais tes positions, elles sont comme les miennes. Tu cherches à réparer l’injustice de ce monde, ce travail que tu as fait sur les golems, ton initiation aux arcanes et tout le reste ne sont pas raison. Quand tu as fait appel à mes services tu voulais défendre ce village des attaques orcs, mais aussi tu aidais notre communauté en s’assurant de toujours améliorer les conditions de vie de chacun. Leur donnant à tous ce petit quelque chose en plus qui par tes inventions pourrait changer leur vie. Ce combat je te propose de le continuer avec moi Manolito.
Manolito restait silencieux, laissant le mage poursuivre.
Où sont les Dieux, Manolito, quand on a besoin d’eux ? Où est la magie quand on a besoin d’elle ? La magie comme les Dieux ne répondent qu’à une poignée d’élus, pendant que la populace se meurt, et se fait la guerre pour servir des rois qui les jetteront aux lions le moment venu.
Il est vrai.
Tu pourrais m’être d’une grande aide Manolito, tu pourrais nous aider tous à se battre pour que ce monde soit plus juste. Que l’homme soit enfin libre d’agir et de vivre comme il le souhaite sans être parasité par une poignée d’élus corrompus qui jouissent de prérogatives qui ne sont accessibles qu’à eux. Le vieux monde doit mourir Manolito. La Magie, les Dieux et les Rois.
Manolito fut pris de panique. Toute sa vie il avait rêvé pouvoir œuvrer pour la justice, et devenir un agent du changement. Mais ce village était une devenue une grande famille pour lui, et sa vie semblait être avec eux, avec Pagoustiak son meilleur ami, et Chugya, celle qu’il aimait.
- Tu aideras plus ceux que tu portes dans ton coeur, en partant et en nous aidant, qu’en restant à
Trouagemme , Manolito, dit le mage semblant lire dans son esprit, tu as un don, si tu ne l’utilises pas, qui le fera ?
C’est difficile pour moi…
Je te laisse jusqu’à ce soir, si tu n’es pas au pied des remparts au moment où le soleil se couche, je partirai sans toi.
Manolito acquiesça. Il quitta son maître et se rendit chamboulé dans le village. Il alla au cimetière, regardant amer les tombes de ses proches. Il se recueilla là quelques heures et fut interrompu par Pagoustiak qui passait non loin.
J’ai vu que Godron était là. Qu’est-ce que tu fais ici ? Que se passe t-il ? demanda Pagoustiak d’un air concerné.
Aide-moi mon ami. Le mage m’a proposé de l’accompagner dans ses aventures.
Ah la politique ! Ca n’a jamais été mon fort tu le sais.
Le mien non plus.
Peut-être. Mais tu as toujours été plus traversé par ça que moi. Ecoute, je sais déjà ce que tu vas dire. Je ne sais pas, je ne sais pas si tu dois faire un choix. A vrai dire, si l’heure est si grave que le mage t’as laissé l’entendre, la question du choix ne se pose pas non ?
Je ne pourrais pas regarder Chugya dans les yeux et lui dire ça… Je l’aime, et elle porte mon enfant. Quel être serais-je si je ne peux même pas être Père ? Quelle justice y aurait-il ?
Ça mon ami c’est une question que je ne préfère pas me poser.
Pagoustiak… Tu es comme mon frère. Si jamais je devais partir, veillerais-tu sur Chugya et sur mon fils pour moi ?
Écoute Mano, chaque enfant est un enfant du village dans son entier. Et tu sais plus que quiconque ici que quoi qu’il arrivait je te soutiendrais toujours comme je le peux. Il s’en passé des choses depuis cette fois où on était laissé pour mort à la mine, mais rien ne changera pour autant. »
Merci mon frère. Les plans du Laborobot 3000 sont à toi.
Manolito serra fortement Pagoustiak dans ses bras en souriant :
Adieu mage.
Je reviendrai.
Manolito rentra chez lui, et resta un instant dans son atelier, émotif. Il confectionna avec quelques matériaux qui traînaient ci et là un petit oiseau en bronze à remonter pouvant sautiller sur le sol.
Il alla ensuite chercher dans le coffre brisé, *la* gemme de sa famille, celle qui était la raison de son existence et l’emporta. Il fit son paquetage ne pouvant se résoudre à dire adieu à Chugya en face, n’étant pas assez courageux, lui écrivit ces mots sur une lettre, qu’il déposa sur son établi.
" Mon amour,
Tant de temps, de joie, de rires, ont passé avec toi. Je suis lâche de ne pouvoir te dire cette chose, en face, car je dois partir et que tes yeux, et l’être dans ton ventre, me feraient rester.
Je dois continuer mon entraînement avec Godron, et l’aider à réparer l’injustice qui pullule dans Abrasia. Cette injustice qui nous a tant fait souffrir et nous a rapproché toi et moi. J’espère que tu garderas une bonne image de moi.
Je t’aime, et je t’aimerais toujours.
Ps : le petit jouet métallique sera pour notre enfant.
Manolito »
Il s’éclipsa rejoignant Godron sur les remparts :
Tu es déjà là ? dit-il satisfait.
Oui maître, partons.
Parfait, bienvenue dans l’L'Aube Éternelle jeune mage.
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