Avec le retour de Solairik à l’Hospice, et la disparition de l’étrange maladie qui se répandait en ville, j’ai pu retrouver un peu de temps libre. Quoi de mieux que de reprendre la mer pour me changer les idées.
Parmi les membres de la Guilde, j’ai trouvé un équipage prêt à prendre le large vers l’est : Korth, un homme-lézard dont la voracité n’a d’égale que sa férocité. Léo, un paladin au service du sage, avec qui j’ai reforgé le vénérable bouclier de la famille Gades. Mingar, un pieux guerrier, agile et sauvage. Puis, Sylvio, un homme de peu de mots qui peut compter sur une force intérieure insoupçonnée.
Après avoir chargé la Pristine des matériaux nécessaires à la construction d’un quai, nous appareillons vers la Baie de l’Hydre. Sous le conseil avisé de Mingar, nous partons un jour où le vent nous est favorable, mais le parcours est ponctué de récifs. Sans la vigilance d’un équipage expérimentée, nous effectuons une fausse manoeuvre qui éventre légèrement la coque du bateau. Rien que nous ne pouvons pas réparer, mais il s’en fallait de peu pour qu’on s’échoue au large des Fanges, à mi-chemin vers notre destination.
Accost.é au quai temporaire qui chambranle, nous installons le campement et déchargeons la Pristine. Il reste encore les traces d’un combat récent et d’une végétation dense et étrangement vivante pour cette période de l’année. La nuit de repos est interrompue par l’assaut de deux gigantesques hommes-serpents armés de leur fameux cimeterre et de leur arc aux flèches empoisonnées. Sans rien demander, ils nous attaquent, malgré notre avantage du nombre et de la position. Sauf pour Mingar le téméraire, nous parvenons à les abattre sans trop de peine.
Ce n’est pas la première fois que l’on rencontre ces créatures. Où que nous soyons en Nouvelle-Sarnale, les hommes-serpents nous attaquent inopinément. Ils semblent tous appartenir à la même bande, selon la facture de leurs armes et de leurs ornements. Ils portent tous une immense pierre topaze rouge. Léo affirme les avoir croisé à la Citadelle, dans l’entourage d’une sorcière bien connue. Ces rencontres ne peuvent être que de pures coïncidences. Je ne saurais dire comment ils peuvent se trouver sur notre chemin aussi souvent. Mais ils savent comment nous trouver. C'est troublant de leur reconnaître ce pouvoir.
Le quai fut complété par une longue et productive journée de travail. La force de Korth, ainsi qu’une certaine laisance de Mingar, Sylvio et Léo à travailler le bois nous ont permis de compléter promptement notre tâche .
Subséquemment, se présente alors un choix. Ou nous restons sur place pour consolider les défenses autour du quai. Ou nous prenons la route du sud pour entrer sur les territoires des arachnides. Ou nous prenons la mer pour voguer vers l’est, afin d’y découvrir de nouveaux horizons.
Au matin, le vent nous souffle la réponse car il pousse vers l’est. Nous montons à bord de la Pristine pour naviguer en eaux inconnues, en longeant la côte. Au bout d’une journée, nous jetons l’ancre. Le paysage reste pratiquement inchangé. La côte demeure inhospitalière et on peut deviner que les terres marécageuses continuent de s’étendre vers l’est.
Dès les premières lueurs de l’aube, la surface encore tranquille de la mer se couvre d’un voile brumeux. Mes compagnons l'identifient immédiatement comme étant les redoutables Brumes. Avant longtemps, la Pristine est enveloppée par un tapis opaque et fluide. Généralement, les Brumes apportent son lot de malheurs, et le nôtre prend la forme d’un énorme galion voguant doucement sur ce manteau éthéré.
Sans faire ni une, ni deux, nous sortons les rames pour prendre nos distances de la terrible nef. De mémoire, et par la grâce des Huit, je parviens à guider notre embarcation à travers les plus dangereux récifs. Le galion nous poursuit. Du coin de l’oeil, je n’y vois aucun homme d’équipage. Le navire fantôme avance par lui-même, mû par un vent inexistant. Dans la frénésie du moment, j’ai tout juste le temps de détailler l’emblème que porte la grand-voile.
Au bout d’une bonne heure de nage, nous avons la conviction que nous avons distancé notre singulier poursuivant. L’espoir renaît lorsque les Brumes se dissipent. Nous sommes à quelques miles de la Baie de l’Hydre. Nous y accostons pour une escale avant de reprendre la mer vers Nouvelle-Audarque, sans encombre.
Tout au long du voyage de retour, j'ai fouillé dans mes souvenirs. J'ai bourlingué dans de nombreux ports, et je n'ai pas mémoire d'avoir croisé l'emblème du galion, ou quelque chose qui s'y apparente. Mes compagnons ont avancé quelques hypothèses qui tournaient autour de l'idée que le bateau avait dû naviguer ces eaux à une autre époque. Je verrai ce que les érudits de la Guilde en penseront.
Je suis heureux d’avoir contribué à l’établissement d’un avant poste vers l’est. Une route maritime sécuritaire est maintenant connue. Atteindre la Baie de l’Hydre ne devrait plus poser de difficulté.
Cette expédition m’a permis de rencontrer les Brumes pour une première fois. J’ai vu les ravages qu’elles ont fait sur Nouvelle-Audarque, et sur l’esprit de ceux qui les ont croisées.
Ça me motive encore plus pour ma prochaine sortie. En compagnie de vétérans, comme Fabio, Solairik et Flint, ainsi que les vaillants érudits Magach et Sylver, je voyagerai vers la mystérieuse Citadelle de Perle. J’ai espoir d’y trouver des réponses afin de ramener la protection du Pacte Noble sur Nouvelle-Audarque, d’une manière ou d’une autre. C’est une priorité. Un autre épisode de Brumes serait désastreux. Il faut tout faire pour s'en prémunir.