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Mon 8th Apr 2024 07:47

Le serment des Terres Flétries II - La monstruosité du passé et du présent

by Pangur Bán Jowro Futatoro

UN CHEF DE VILLAGE ENVOÛTANT
Les terres arides portent bien leur nom. Tout est désolé ici. Mes compagnons souffrent de la chaleur qui craquelle la terre. Moi je suis un peu plus habitué qu’eux. Pas de gibier ici. Pas de plantes non plus. Heureusement que j’avais cueilli assez de branches de gui après notre départ de Neverview, dans une forêt fertile, pour générer mes baies.
Nous sommes arrivés aux portes d’un village dévasté. Tout portait à croire que la sécheresse n’avait pas toujours frappé ici. Mes sens aiguisés de rôdeur ont immédiatement reconnu que ce qui s’était passé dans ce qui avait été autrefois un village luxuriant était tout sauf naturel.
Le chef du village s’est présenté à nous. Il était vêtu d’une tunique de bédouin. Sa peau de pain d’épice reflétait les rayons du soleil. Ses cheveux longs étaient d’un ébène profond et luisant. Son regard fier et perçant se promenait sur notre groupe. Je ne comprends pas ce qui se passa dans mon cœur mais j’étais plutôt ému. D’une étrange manière.
« Si nous venions un jour à être séparés, laisse ton cœur aller vers celle qui le fera vibrer. Ne m’oublie pas, mais n’oublie pas de vivre… »
Les mots de ma femme Mariama me revenaient à l’esprit. Cela ne m’était jamais arrivé auparavant. Je lui vouais la plus grande fidélité, même après ce qui s’était passé au village…
Mais… Jalel – c’était le nom de l’envoûtant guerrier à la peau de châtaigne et aux yeux de sable –, Jalel… c’est un homme !
 
SOIGNER, ABREUVER, FAIRE POUSSER, DIVERTIR, INTERROGER, PROMETTRE
Bran notre paladin protecteur soignait les blessés du village. Moonie créait de l’eau. Je distribuais des baies dont la sève nourricière subvenait aux besoins en nourriture d’un individu pour 24 heures. J’en donnai trois à Jalel, sans me faire voir de mes compagnons. Sa main était douce et chaude.
Kethot réussit à persuader le fier chef de lui confier une graine d’inversion. Je crois que cette graine représentait un espoir de faire retrouver sa forme humaine à Mars, l’étrange chouette qui accompagnait notre druide en permanence. Mars était le compagnon de Kethot autrefois. Le compagnon. Un homme ? C’est quoi un compagnon ? C’est comme une compagne ?
Pourtant cette graine était importante pour le village car elle représentait l’avenir d’une nourriture.
Je l’ai bien compris lorsque les enfants du village ont regardé ma Cwengu d’une drôle de manière. Comme s’ils en voulaient à ses gigots ! J’essayais de faire quelques tours avec elle pour divertir les habitants du village tandis que Moonie allait interroger le père de Jalal, feu Ours Empaillé. Elle avait mis à son doigt l’anneau de communication avec les morts que nous avions récupéré sur la figure de proue du Krakken ! Moonie voulait obtenir plus d’informations sur ce qui avait dévasté le village et les terres alentour, mais peu habituée à la magie de communication avec les morts, elle n’avait obtenu que la confirmation de ce que les habitants et Jalel nous avaient déjà dit.
Ni ma tentative de diversion qui avait présenté ma panthère comme une éventualité de ragoût pour les habitants, ni l’interrogatoire mortuaire de notre prêtresse n’avaient donc été fructueux.
Nous avions de toute façon fait la promesse à Jalel que nous les vengerions en détruisant la source de leurs soucis : des « bourdonneurs » qui avaient laissé leurs plus fiers guerriers – et Ours Empaillé – avec d’énormes trous dans le ventre.
Quelles créatures étaient capable d’une telle horreur ?
Qu’allions-nous trouver dans le désert ? Saurions-nous retrouver la pierre de Kantata qui avait été dérobée à ce peuple ?
Le cœur plein d’inquiétude, je me suis tout de même endormi sur cette terre crevassée, en pensant à la chaleur de la main de châtaigne de Jalel.
 
LE FIL D’OR
Descendre Cwengu dans le trou au milieu du désert n’avait pas été facile. Mais attirée par les chèvres qui étaient tombées au fond, ma panthère s’est laissée descendre au bout de la corde que Bran et moi manipulions avec aisance.
D’innombrables galeries… Des bêlements de chèvres… Un endroit étrange. Je déchiffrai une énigme musicale !
Merci Abba de m’avoir appris à jouer du tympanon et à raconter mes chasses en musique.
En chantonnant l’air codé des notes du manuscrit, je fis apparaître un fil d’or qui nous mena aux portes d’un immense danger…
Des lances récupérées sur des guerriers du village morts entre les mains, nous passâmes un temps infini à traverser les illusions générées par des glyphes sur les murs. Alors qu’il suffisait de les détruire ! Bravo prince pour votre sort ravageur qui nous a ouvert la voie !
 
EVANOUI !
La caverne qui s’étendait devant nous était impressionnante. Immense. Traversée de pont se dédoublant et surplombant un gouffre infini.
Après avoir établi une stratégie (à droite ? à gauche ?) et décidé d’un ordre de passage, des horreurs nous attaquèrent. Voilà ce qu’étaient les « grosses mouches » dont les guerriers du village nous avaient parlé. Les « bourdonneurs »… Des fiélons !!! Enormes, terrifiants, munis d’un rostre proéminent qui avait traversé le ventre des guerriers du village comme s’il s’agissait de beurre de karité ! Et ils étaient au nombre de quatre !
La force retrouvée, je m’élançai dans le combat avec mes compagnons. A l’arc. A la lance…
Cependant il y avait autre chose. Mes sens aiguisés détectaient une autre présence dans la grotte. Une présence redoutable. Une magie très puissante.
« Statis motes » ! La magie me paralysa. Mes sens m’abandonnèrent. Je m’évanouis.
Alors, derrière mes paupières closes, je le vis. Le serpent à tête humaine. La créature de l’ombre lançant ses sorts à distance, motivant ses bourdonnants fiélons à nous attaquer…
 
J’avais déjà vu une telle créature. Il y a longtemps. Après la destruction de mon village. Après m’être évanoui suite aux coups de fouet du kobold sur ma joue. Après avoir été emmené dans les mines de coltan. Après avoir travaillé dans la roche, sans même avoir pu enterrer les corps de mes parents. Sans même savoir ce qui était arrivé à ma femme et à ma sœur. Avec la seule présence rassurante de Sowi mon ami de toujours, mon frère. Il m’aidait à tenir. Il continuait à m’entraîner à l’arc et à l’épée. Pour un jour nous échapper. Jusqu’à ce qu’un jour les kobolds qui nous asservissaient trouvèrent le grand arc. Nous l’avions pourtant dissimulé sous la terre. Ils nous emmenèrent devant la monstruosité. « La cheffe » disaient-ils. Ils nous descendirent dans un trou sombre. Nous traversâmes des galeries infinies. Des bruits de bêtes se faisaient entendre. Des bêlements ?
Puis nous la vîmes. La monstruosité ultime. Un serpent immense. A visage humain. Un visage entouré de cheveux de jais.
Le visage de Yaatako.
Notre chamane corrompue par le coltan était devenue une sorcière. Puis cela. Un Nagaa. Un Nagaa corrupteur. Comment son corps avait-il ainsi subi cette immonde métamorphose, c’est un prodige que je ne peux m’expliquer. N’avait-elle pas plutôt fusionné avec le Nagaa ?
A l’époque je ne savais pas ce qu’était un Nagaa. Ce n’est que sur l’île où nous avions vu le crâne géant de l’un d’entre eux, avec Loen et Lucens, que j’avais compris. Comment le fil de ce qu’avait vécu la tribu des Futatoro, ma tribu, avait pu rejoindre le fil de mes compagnons d’Herra’tat ? Les fils du destin sont-ils tous déjà tracés et se rejoignent-ils au bon vouloir d’une volonté supérieure ?
Comme punition, Sowi reçut un coup de queue de Nagaa-Yaatako sur la potirine, à droite. Et moi je reçus un coup de queue sur la poitrine, à gauche. Le venin me consomma pendant des jours. Des semaines. A peine remis sur mes jambes, les kobolds me poussèrent à nouveau vers les mines de coltan, le précieux minerai magique corrupteur. Jamais je ne revis Sowi. Son visage s’effaça peu à peu de ma mémoire. L’image des miens aussi. Il me fallait partir. Il n’y avait plus rien pour moi ici. Plus que des cicatrices sur le visage et sur le cœur. Alors j’ai fui. Je n’ai gardé de ce passé d’esclave que l’oubli et un nom. Pangur Bán. Tout blanc.

 
VICTOIRE !
La force retrouvée. Tiré de mon évanouissement magique et de mon souvenir prémonitoire par un coup de savate bien placé d’un de mes compagnons, nous avons vaincu les fiélons bourdonneurs. Cwengu en a même achevé un à coups de crocs bien placés. Nous avons traversé les multiples sorts lancés par l’invisible monstruosité. Puis, ses sbires vaincus, elle est apparue. Le serpent à visage humain. Ce n’était pas Yaatako l’ancienne chamane de la tribu Futatoro, non. Mais c’était bien un Nagaa corrupteur. Loen et moi avions lu des choses à leur sujet sur l’île. Alors que j’essayais de lancer un sort de silence à l’aveugle afin d’empêcher l’horrible créature de faire pleuvoir ses sorts sur nous, elle disparut, plongeant l’immense caverne dans un silence inquiétant mais réconfortant. Elle s’était téléportée. La reverrons-nous un jour ? Il me semble que mon destin était désormais lié à ces horribles Nagaas. Notre destin.
La pierre de Kantata récupérée et analysée par Samay (une pierre de Yum, une pierre de maîtrise !), quelques potions empochées, un magnifique jeu de flèches magiques pour mon carquois, nous nous mîmes en route pour rentrer au village désespéré.
C’est alors que tel l’espoir retrouvé, un jeune homme inconnu et nu nous suivit. La graine d’inversion avait fonctionné. Mars était revenu.
 
Et moi, Pangur Bán, ancien esclave, ancien sauvageon solitaire, nouveau compagnon d’une troupe bigarrée, allais-je revoir la peau de châtaigne de Jalel ?