Remove these ads. Join the Worldbuilders Guild
Mon 25th Mar 2024 04:25

La force retrouvée

by Pangur Bán Jowro Futatoro

UNE MONSTRUOSITE
A peine remis de notre chute de la tour d'Elvenbleak, je n'ai même pas eu le temps de vérifier que Cwengu était bien retombée sur ses pattes...
Il nous fallait sauver le pauvre elfe de l'abomination.
Une monstruosité plutôt. Encore un semblant de serpent. Pas un, mais sept serpents. Une hydre. Une monstruosité.
Tout a déjà été écrit sur ce combat.
J'ai essayé de sauver Bran avec Cwengu. Mais notre Bran, fidèle à lui-même, à sa légendaire bravoure, n'a pas voulu être sauvé. Au contraire, il a déclenché un duel forcé pour attirer l'horreur derrière lui. 7 têtes, 8 têtes, 9 têtes... Alors que Kay et moi lancions nos flèches, les têtes poussaient, se multipliaient... Mais Bran résistait. Il ne fallait pas le sauver. C'est lui qui nous sauvait. C'est ça un paladin.
Moonie, brave Moonie... elle soignait tout ceux qu'elle pouvait. Compagnons à deux ou à quatre pattes. Mais elle s'est retrouvée à terre elle aussi. Et je n'ai même pas tenté de la sauver cette fois. J'ai eu peur.
Alors j'ai encore voulu fuir. En sauvant l'elfe aux yeux de miel, dont notre destin, je le sentais, dépendait. J'ai aidé Kethot à soulever la pierre qui le retenait prisonnier.
 
Et j'ai voulu fuir. Comme j'ai fui jadis mon continent, car il ne semblait plus rien y avoir là-bas pour moi.
 
J'ai chargé l'elfe sur Cwengu. La panthère était en pleine forme... les félins retombent toujours sur leurs pattes !
Puis notre prince Samay a lancé un sort. Mes connaissances en magie sont limitées, je ne sais pas ce que c'était. Mais cela a inversé l'issue du combat. Alors que la monstruosité hydresque poursuivait toujours notre paladin de lumière au loin, mais à distance, nos flèches et nos sorts endommageaient la créature sans que de nouvelles têtes apparaissent !
Moi qui pensais avoir perdu courage, moi qui pensais fuir et abandonner, j'ai retrouvé espoir. Nous avons retrouvé espoir.
Et moi le chasseur, moi le rôdeur, moi le sauvageon... J'ai décoché l'ultime flèche qui a transpercé le monstre aux cent têtes, le serpent multiplié qui hoquetant s'est enfin abattu au sol. Je ne l'ai pas vaincu seul, ce monstre, pour sûr. J'ai même failli fuir. Mais ce n'est pas peu fier que je l'ai achevé d'une de mes flèches de simple chasseur. Le groupe m'avais transmis sa force. Et au campement, avec Arin Aleksander Drake, l'elfe aux yeux de miel que nous avions sauvé, je me suis délecté de la chair du monstre cuite au feu de bois !
Et ma panthère la fidèle Cwengu aussi !
 
 
L'AVEU
A ce moment de mon journal, je dois avouer l'inavouable.
J'ai honte...
J'ai suivi Arin et notre prince qui avaient chacun un sourire étrange aux lèvres. J'avais peur pour Samay. Même après l'avoir sauvé et lui avoir donné des baies, après les présentations, après le baiser de Kethot, je ne faisais pas confiance à l'étranger. J'ai encore du mal avec les étrangers. C'est idiot. Moi qui étais un étranger au yeux de tous ! Pourtant les autres m'ont accepté ma panthère et moi, sans peur....
Bran avait déjà envoyé Louna surveiller notre prince. J'ai pisté la louve. Facile pour un rôdeur. J'ai entendu des gémissements et des petits cris, j'ai eu peur pour Samay. Mais le plaisir semblait envahir la tente. L'amour, et non la peur. Et alors que Samay se redresse, me tournant le dos, hors de la tente... Je les vois ! Des marques de son passé. Des marques profondes. Comme celles sur mon front et ma joue gauche.
Aussi rouge de honte que la couleur de ma peau le permet, je suis vite retourné au campement retrouver les autres. Et jouer de mon tympanon. Mais l'image des cicatrices m'est restée gravée dans le cœur.
 
 
LA VILLE
Nous sommes à Neverview. Beaucoup de choses importantes s'y sont déroulées. trop pour que je les raconte toutes ici.
Je n'aime pas les gens des villes. Leur richesse semble étouffer la nature à laquelle je resterai toujours attaché. Le luxe, les murs froids de la grande ville, les préoccupations de ses habitants... tout me laissait penser que seul l'argent gouvernait ici.
Je n'ai pas aimé le conseiller. Homme de paille d'un pouvoir qui lui échappe, homme d'apparat.
Contrairement à notre prêtresse qui a fondu d'un simple coup d'œil de l'homme de pouvoir qui, il faut bien l'avouer, avait une certaine prestance.
Méfie-toi Moonie. Cet homme ne mérite pas ta générosité sans borne ! Mais s'il t'offre du plaisir, prends-le. Toi tu le mérites.
 
 
LE NOUVEAU VISAGE ?
Nous sommes à Neverview. Au Poney frétillant. Une auberge que mes compagnons connaissent. Une première pour moi. La bière me réchauffe, mais en même temps elle m'emplit de tristesse. Mon cœur semble se vider de sa joie. Mes compagnons ne sont pas loin, il sont joyeux, mais moi je me sens m'éloigner. Au cœur de la grande ville, loin de ma nature, loin des miens, loin de chez moi...
Depuis que j'ai perçu les marques sur le dos du prince (honte à moi !), mes propres cicatrices me brûlent. Intensément.
Bran, le paladin protecteur le voit. Il voit les cicatrices sur mon visage me brûler, et vider mon cœur de toute son énergie.
Il me dit qu'il peut les effacer. Je dis "d'accord". Je n'ai pas la force de lutter.
Dans la petite chambre toute simple du Poney Frétillant, assis sur le lit à la couverture rapiécée, la douleur a été inimaginable. J'avais l'impression que le paladin me découpait littéralement le visage. Ou plutôt, qu'il me le brûlait. Ma chair était comme en fusion. J'avais l'impression que mon crâne allait apparaître à nu. Je pensais à la cicatrice que j'avais sur la poitrine, elle il était hors de question de la faire opérer ainsi. Fort heureusement mon supplice n'a duré que de quelques minutes, même si elles m'avaient semblé des heures de douleur. Et la douce chaleur émanant des mains de Bran m'a réparé la peau. J'étais régénéré. Mais encore torturé de l'intérieur.
Bran me dit alors que je dois m'accorder un temps seul. A réfléchir. Je sombre dans mes pensées, dans un demi-sommeil, la joue endolorie, j'entrevois les terres de mon continent...
 
 
LE PASSE DE PANGUR I - LA DEVASTATION DES FUTATORO
Tout était calme dans la tribu des Futatoro, sur la terre des Peuls, la terre de mes ancêtres. La terre que j'avais toujours habitée et que je pensais habiter pour toujours. Chasseur de lions, chasseur pour protéger ma tribu, pour protéger les miens. J'étais entouré d'amour, celui de mes parents, Abba "père" et Inna, "mère". Celui de ma femme... Ma douce et tendre Mariama, qui allait bientôt donner la vie. Celui de ma sœur Shayna, qui m'avait confectionné une superbe et naturelle armure de cuir. Celui de mon ami avec qui je chassais, que je considérais comme mon frère, Sowi... Tout était beau, tout était naturel. Nous protégions la nature, la nature nous protégeait.
La chamane Yaatako avait toujours œuvré pour le bien des Futatoro. Tirant son savoir de la nature, elle savait trouver les proies des chasseurs, provoquer les pluies pour faire pousser les semences, conseiller les familles, aider les femmes à donner la vie. Son visage n'avait pas d'âge. Ses cheveux blancs encadraient des traits de bonté et de bienveillance.
Jusqu'au jour où elle reçut la visite d'un kobold d'une tribu voisine.
Je me méfiais des autres races. Surtout des kobolds.
 
Yaatako se mit alors à changer. notre chamane protectrice, notre conseillère universelle se mit à délaisser la nature pour nous parler d'une mine lointaine. Une mine de coltan. Un métal précieux au propriétés magiques qui pouvait être vendu très cher et rapporter beaucoup d'argent à la tribu. En travaillant pour récolter le coltan, les jeunes hommes de la tribu pouvaient apporter bien plus qu'en allant chasser ! Offrir aux enfants des divertissements insensés, aux femmes des bijoux dorés, aux hommes des élixirs de puissance quasi éternelle... Pour tout cela, il suffisait juste de signer un contrat avec le chef des Kobolds.
Je me méfiais de la magie et de l'argent qui corrompt les cœurs, même les plus purs.
Tous les Futatoro s'en méfiaient.
Nous avons tous refusé.
Seule Yaatako voyait notre futur dans les mines de coltan. Que lui avait dit ce kobold, comment l'avait-il changée à ce point ? Quel sort lui avait-il lancé, que lui avait-il fait boire à notre pauvre chamane ?
Toujours est-il qu'elle se tenait désormais isolée du village. Dans une hutte sombre et éloignée. Les fleurs ne poussaient plus autour de chez elle. Les oiseaux ne se posaient plus sur son toit. Des enfants l'ayant aperçue ne l'avaient pas reconnue. Ils avaient parlé d'une sorcière décharnée aux cheveux de jais.
 
Puis vint ce matin où, rentrant de chasse avec Sowi... J'en tremble en l'écrivant. Notre village en flammes. Abba et Inna torturés par les kobolds qui avaient essayé de savoir où j'étais pour m'emmener dans les mines de coltan. Mais il n'avaient rien dit. Ils m'avaient protégé. Dans un dernier souffle, mon père me redit le proverbe qu'il m'avait toujours dit depuis que j'étais tout petit, sans que j'en comprenne vraiment le sens.
Nde ne'd'do naayaay fuu tagidaaka.
Tant que l'homme n'est pas mort, il n'est pas fini d'être créé.
"Sauve-toi mon fils. Sauve-toi et perpétue le nom de ta tribu. En te sauvant tu perpétueras le nom des Futatoro."
Les yeux embués de larmes, je n'eus même pas le temps de chercher ma femme Mariama...
 
Devant moi se tenait la sorcière. Un kobold leva son fouet. Elle ordonna quelque chose dans un dialecte que je comprenais pas. Ma joue me brûla. Et tout devint noir.

 
 
LA FORCE RETROUVEE
Je me suis réveillé sur la couverture rapiécée de la petit chambre du Poney Frétillant. Ma joue réparée par Bran semblait me brûler encore. Les cicatrices allaient revenir, j'en étais sûr. Mais tant pis. Elles étaient la trace de ce passé qui était moi. Je me sentais maintenant prêt à l'accepter. A l'affronter. A vivre avec.
 
La voix cristalline et enjouée de la brave Moonie retentit dans la chambre, alors qu'elle ouvrait la porte de bois doucement.
"Pangur, ça va ? Il faut que nous allions enquêter dans l'atelier de Rufus, tu viens ?"
Oui je vais y aller. Je vais continuer avec eux et avec mes cicatrices. Je suivais Moonie le cœur plein d'une force retrouvée. A côté d'elle il me semblait apercevoir une autre silhouette féminine. Une déesse protectrice de Moonie ? La prêtresse de Sumie, qui semblait avoir lu mes pensées m'a alors dit : "Oui Pangur. Tu la vois aussi ? C'est Imana. Cela signifie la foi en langue céleste. C'est la foi que j'ai en mes amis. Et celle que tu dois avoir aussi."
 
Je les suivais de mon léger pas de chasseur. Je ne sentais plus ma joue me brûler. Je ne sentais plus qu'une force puissante me porter. Ma force au service de mes amis.