Dans l'agitation des quais, parmi la foule aux couleurs bigarrées, moi Pangur Bán Futatoro, je dois prendre le bateau. "Trouve le capitaine Bottle Bottom de ma part" m'avait dit le collectionneur, ce El Shakaat qui aime trop l'argent.
Pangur Bán n'est pas mon vrai nom. C'est ainsi que me nommaient mes tortionnaires. J'ai compris bien plus tard pourquoi cela les faisait rire. "Tout Blanc". La couleur de ma peau n'était pas la même que la leur. Mais ce nom je l'ai gardé.
Avec un délicieux curry de poulet dans le ventre offert par l'aubergiste, j'étais en pleine forme. Mais sans un sou. Restaurer mon armure de cuir que j'aime tant - merci Shayna, ma sœur adorée - avait fini de me vider les poches.
Le bateau je ne peux le rater. Des aventuriers de tous bords se pressent pour y monter. Ils m'effraient un peu. Mais ce qui m'effraie davantage, c'est que je vais devoir remonter sur un bateau. Et retrouver les sensations de l'eau, les odeurs, le tangage, les souvenirs de ma traversée de deux ans les fers aux pieds....
Devant moi un moine dans mes âges, aux cheveux courts, athlétique, me fait bonne impression. Il se nomme Loen. Quand je lui dis que je pars à la recherche d'une écaille de Naga, il blêmit. "Cette créature est très dangereuse" me dit-il. Je le sais. Chasser des créatures dangereuses est mon nouveau métier. Depuis deux ans je me suis fait une réputation sur cette nouvelle terre.
Il y aussi une créature. Une créature noble qui m'impressionne. Elle dégage une aura de sagesse et de mysticisme. Sa robe est magnifique, légère, couleur de rose, elle s'agite dans le vent. Sentant qu'elle pouvait m'aider à me faufiler dans l'embarcation sans dépenser une pièce d'or, je lui ai parlé et elle m'a proposé son aide. Elle a elle-même fort à faire avec le capitaine que j'aperçois enfin, un homme rustre au visage basané. un vrai marin, assurément, mais il ne veut pas de femme à bord. Il hurle. Et finit par conclure un marché avec elle. Une histoire de cabine à partager. Je n'ai pas tout entendu, mais Lucens - c'est le nom de la créature mystique à la robe ondulante - semblait un peu dégoûtée et décidée à ne pas remplir sa part du marché. J'ai senti sa haine envers Bottle Bottom transparaître de son visage aux traits parfaits. Elle a dissimulé ma corde sous son corsage. Me faufilant vers l'arrière du bateau, profitant de l'agitation des armateurs qui chargent les tonneaux de rhum, surmontant mon horreur de l'eau, je plonge. Trois mètres seulement me séparent de la coque. Et à l'arrière je me faufile aisément lorsqu'elle me lance la corde après avoir diverti les chiens de garde à l'entrée du bateau. Par un sort. Les sorts me font peur, moi qui ne compte que sur mon arc et mes épées. J'ai recroisé Loen sur le bateau. "Les ensorceleurs sont très respectés ici" m'a-t-dit. Je le crois. Il m'a dit que Lucens était un homme. Voilà pourquoi il ne voulait pas aller dans la cabine du capitaine ? Peu importe. Il m'inspire confiance. Je ferai la traversée vers l'Ile du Serpent dans la cale. Caché. Cela ne me dérange pas. Je préfère me faire discret.
Lucens est adorable. Il m'a apporté à manger. De la viande étrange. Du rat ? Peu importe. J'ai déjà mangé bien pire. Calé derrière des tonneaux de rhum, mon armure de cuir est bien rembourrée. La mer semble bien calme mais le roulis me dérange quand même. Je suis un chasseur des plaines. Pas un marin enfermé entre des planches de bois. Je m'endors en souhaitant arriver le plus vite possible sur l'île maudite des Nagas.
Pangur Bán. Oui, ce nom je l'ai gardé. Comme trace de mon passé et comme une page toute blanche pour ma nouvelle vie. Futatoro. C'est aussi mon nom. Le nom de ma tribu qu'ils ont dévastée. Je ne les oublierai jamais. Je retrouverai les survivants. Un jour. Shayna ma sœur et Sow, mon ami, mon frère.
Catastrophe. Moi qui redoutais la tempête, je suis servi. Le bateau semble prêt à exploser. Tout le monde court partout. Je retrouve Lucens et Loen sur le pont, face à une vision de cauchemar. J'ai entendu parler de cette créature quand j'ai fui, esclave sur le bateau. Un krakken. Un monstre marin d'une puissance inimaginable. Ses colossales tentacules, vineuses et écœurantes, ont déchiqueté l'embarcation de part en part. Nous apercevons son crâne, immense et menaçant. Tout le monde saute à l'eau, et nous aussi. Je suis Lucens et Loen. Je ne connais qu'eux et je peux leur faire confiance. Mon instinct me trompe rarement. A peine arrivés aux rochers, un autre monstre nous guette. Moins imposant que le krakken mais très dangereux. Un squale. Nous ne voyons que son aileron dépasser de la mer, entre les débris du bateau. Loen est en difficulté face à elle. Il fuit. Son ki est puissant. Lucens lui lance un sort magnifique, une lumière semblant tomber du ciel consume la créature. Mais elle n'est pas morte. Ayant grimpé sur un rocher, mes pieds en contact avec un élément terrestre, je cible le squale et ne le quitte pas des yeux. Mes flèches en viennent à bout. Son sang répandu dans l'eau forme une trace rouge effrayante. Loen bondit de rocher en rocher vers l'embarcation du capitaine qui nous hurle dessus. Il pense que Lucens est la cause de l'attaque car les femmes à bord portent malheur. Quel idiot. Nous parvenons tous les deux à grimper sur son frêle radeau. Et avant que nous l'ayons ligoté Lucens l'a fait fuir définitivement. Alors que nous dérivons vers notre destin, la fatigue m'envahit.
Même dans les mines de coltan où j'étais esclave je n'avais pas aussi peur que sur un bateau. La terre sous mes pieds enferrés, je me sentais en communion avec les arbres, les bêtes, le vent. L'eau détruit tout. Nous allons mourir ? Au moins je mourrai libre. "Creuse ! Creuse ! Trouve le coltan !". Shayna... Sow... Ma tribu... Mon village... Mariama !
Nde ne'd'do naayaay fuu tagidaaka.
Tant que l'homme n'est pas mort, il n'est pas fini d'être créé.
J'ai survécu. Je me réveille sur une plage magnifique. Du sable sous mes pieds. Mon armure de cuir est trempée mais le soleil dardant ses rayons aura vite fait de la sécher. Mon carquois. Mon arc. Une gourde pour ma gorge desséchée. Et... ils sont là, parmi les débris du radeau de fortune. Lucens. Sa robe déjà sèche ondule sous la brise. Sa chevelure de blé est encore plus magnifique sous ce soleil, sur cette plage, que sur les quais de Port Shaanti. Quant à Loen, son calme est impressionnant. Son ki est puissant. Ses yeux perçants dirigés vers la jungle, il semble déjà l'explorer en pensée. Et moi Pangur Bán, chasseur des plaines, j'ai survécu à une attaque de krakken, un squale, un Bottle Bottom en colère, et après avoir dérivé en mer, à un naufrage !
Nous partons explorer la forêt touffue à la recherche de nourriture. Lucens ne reconnaît pas Heera'tat. Nous n'avons pas dérivé si loin. Nous sommes ailleurs. Perdus sur une île au milieu de la mer de Désolation. Mais les noix de coco que Loen fracasse sur le sol nous donnent du courage. En haut des cocotiers, il a repéré une structure triangulaire impressionnante. Un temps peut-être. nous décidons de nous diriger dans sa direction.
La saveur sucrée des noix de coco emplit encore notre gorge lorsque nous trouvons une sorte de clairière avec un énorme crâne d'animal. Nul doute que le squelette est là depuis des dizaines, des centaines, peut-être des milliers d'années.
Près de lui un squelette humain. Nous décidons de monter notre camp ici, la structure pyramidale est encore loin. Je pars chasser. Lucens se réfugie à l'intérieur du gigantesque crâne du naga. Son œil acéré remarque quelque chose qui brille près du squelette. Une plaque d'identité qui nous apprend qu'il s'agissait du capitaine Navar. Il a aussi un coffre derrière lui. Ce dernier n'est pas fermé et contient une carte marquée d'une croix rouge. Impossible pour nous de déterminer si c'est une carte de l'île. Il se pourrait que la croix soit la structure aperçue par Loen. Une rivière géante semble traverser le territoire. Nous y verrons plus clair demain. Alors que Loen et Lucens plonge dans le sommeil, je prends le premier tour de garde.
Un bruit discret mais bien présent éveille mes sens de chasseur. Je me redresse sur mon arc et vais vers lui. Le bruit s'éloigne de nous. Un animal sauvage. Quatre pattes. Une ombre noire.
C'est une panthère ! Une femelle. Elle est magnifique. Ses muscles jouent sous sa peau d'ébène qui brille aux reflets du de notre feu de camp. Je vois dans ses yeux qu'elle ne nous attaquera pas. Je vois aussi autre chose. Une envie de nous aider. De nous accompagner. Lucens, réveillé, m'envoie une grâce de sa prêtresse. Il est avec moi pour dompter l'animal. Il se réjouit de la beauté de la la panthère. Je fais apparaître quelques baies sucrée et apaisantes dans ma main. L'animal vient les manger avec plaisir. Sa langue est râpeuse. Je pose ma main sur son front. Je décide de l'appeler Cewngu.
Je chassais les lions dans mon village. Les léopards. J'en dressais aussi. Nous avions des troupeaux d'antilopes qui nous offraient leur viande. Des chèvres qui nous offraient leur lait. Nous visions en harmonie avec la nature. Avant qu'ils n'arrivent et dévastent tout, violent nos femmes et emmènent les hommes dans les mines de coltan.
Tous le monde est réveillé. Loen est complètement apeuré par Cewngu. Il s'est fait attaquer par une panthère des années auparavant. Il ne lui fait pas confiance. Pourtant c'est en trottinant paisiblement plusieurs mètres devant nous que Cewngu nous accompagne en direction de la structure. Loen en quelques secondes atteint le sommet des arbres pour vérifier que nous avançons bien dans la bonne direction. Alors que nous découvrons une petite étendue d'eau apaisante, nous décidons de faire une pause pour nous restaurer. Cewngu est partie chasser. Lucens aperçoit quelque chose qui brille au fond de l'eau. Un autre coffre ! Loen, redoutant des créatures marines (nous avions déjà donné...), modifie son bâton de combat en échasse pour rester hors de l'eau. Il est vraiment d'une agilité incroyable. Je reste sur le bord. Hors de question de retourner encore une fois dans cet élément maudit ! Lucens plonge vers le coffre, retenu par une corde à Loen qui reste à la surface, bien stable sur son bâton-échasse. Lucens remonte le coffre, suivi... d'un crocodile ! Ses yeux sont injectés de sang et sa peau semble dure comme de la pierre. Et alors que j'entends un bruit derrière moi, une autre de ces créatures voraces apparaît ! Je décide de perforer le monstre de mes flèches et appelle Cewngu à la rescousse. La panthère bondit sur le crocodile et lui inflige des morsures et des coups de griffes mortels. Je jette un coup d'œil vers Lucens et Loen. Lucens est parvenu à revenir sur la rive et jette un sort très puissant au crocodile qui semble se flétrir, moisir sur place, pour finalement se décomposer. Quelle puissance chez cet ensorceleur !
Le contenu du coffre est conséquent. Des tourmalines et des pièces d'or. Je n'aurai plus à être un passager clandestin ! Si jamais je reprends le bateau un jour... Le coffre contenait également trois fioles, deux rouges et une orange. Lucens garde la fiole orange, Loen et moi prenons les rouges.
Echappés des crocodiles, nous parvenons enfin à la structure. C'est un temple ancien. Les pierres recouvertes de mousse semblent témoigner d'un passé rempli de légendes. Quels dieux pouvait-on bien vénérer ici ?
Dans les arbres des singes s'agitent et nous tenons fermement nos sac fermés. Cewngu leur montre ses crocs.
Loen a découvert une grande porte en pierre, avec des bas-reliefs. Il y en a 16, représentant chacun un serpent. L'un dévore un soleil, l'un un roi à la couronne brisée, l'un est fait d'eau, l'un est en feu, l'autret en métal... Nous comprenons qu'il s'agit d'un mécanisme pour ouvrir le temple. Les bas reliefs semblent s'enfoncer. Mais dans quel ordre ? Loen a alors l'idée lumineuse de gratter de son bâton la mousse qui recouvre les pierres. Une phrase apparaît... La légende d'Anan Takkal ! Lucens nous la raconte. Ce roi serpent magnifique a vaincu le roi soleil. Loen décide d'enfoncer les pierres dans l'ordre de la phrase trouvée sous la mousse. Mais alors que j'enfonce la quatrième, un mécanisme m'envoie un poison mortel ! Je suffoque ! Mes yeux pleurent. Cewngu vient me lécher le visage... "La potion rouge !" crie Loen. Je l'avale avant que le poison ne parvienne à mon cœur. Immédiatement la lumière revient en moi. Je retrouve mes forces. Nous trouvons le bon ordre pour enfoncer les pierres, et nous entrons dans le temple. Partout au mur, des illustrations liées à Anan Takkal. Et dans une immense pièce, un autel en pierre, très massif. Un bout d'étoffe beige dépasse du socle. Nous essayons par tous les moyens de soulever la pierre. Loen essaie de faire levier avec son bâton. Mais rien ne bouge. L'idée nous vient alors de creuser le sol. La terre est meuble entre les joints du dallage. Nous arrivons enfin à extraire l'étoffe, qui renferme un objet allongé... C'est une arme. Une grande dague à la larme tordue. Des reflets verts s'en échappent. C'est un kriss ! Et il est très certainement imprégné d'une puissante magie d'après Lucens. Derrière l'autel, deux statues semblent nous fixer d'un regard torve. Des sacrifices s'accomplissaient ici, nul doute. En l'honneur d'Anan Takkal le roi serpent maléfique ?
Nous découvrons des souterrains, qui semblent correspondre exactement à la carte du capitaine Navar trouvée près du squelette de Naga. Nous avançons sur un sol jonché de squelettes humains. Des yeux semblent nous épier dans le noir. Et nous l'entendons, la rivière souterraine. Il nous faut la franchir sur des rochers. Encore de l'eau à franchir. J'ai failli tomber. Loen lui bondit encore plus facilement que Cewngu sur ses proies. Nous parvenons à l'emplacement marqué d'une croix rouge sur la carte. Cette fois ce sont des ligots d'or qui nous attendent ! Six lingots ! Je n'en ai jamais possédé de ma vie. Nous en prenons deux chacun et ressortons de cet endroit maudit avant que les yeux dans le noir ne se rapprochent trop de nous.
Revenus dans la pièce de l'autel à sacrifice, nous décidons d'emprunter l'immense escalier de pierre qui monte entre les deux statues de prêtresses diaboliques.
L'ascension est longue. Nous apercevons bientôt toute l'île. Car nous sommes bien sur une île. Encerclés d'eau de part en part. Nous voyons au loin le crâne de Naga à côté duquel nous avons campé. Là où j'ai trouvé Cewngu. Un mauvais pressentiment m'oppresse alors que nous débouchons sur une grande place pavée de pierre. Avec en son centre un grand pilier de pierre.
Et autour du pilier... "Un naga !!!!" crie-je naïvement, pensant déjà à l'écaille que je devais rapporter au collectionneur El Shakaat. "Impossible ! Me répond Lucens. Ils sont éteints. C'est un serpent constricteur géant. Moins dangereux qu'un naga, mais ils peuvent t'étouffer en un rien de temps si tu l'approches."
Derrière la place il y a un promontoire avec un escalier et en haut ce qui semble être un feu de détresse à allumer. Profitant de ma mobilité exceptionnelle de chasseur des plaines, je décide de m'y précipiter alors que Lucens, Loen et Cwengu s'attaquent au terrible serpent qui ondule en leur direction. Loen fait pleuvoir des nuées de coups sur la créature, son ki explose de mille feux. Lucens jette des sorts. Cewngu perfore les peau du monstre de sa gueule. Mais alors que je suis à mi-chemin dans l'escalier j'entends un grand cri. Me retournant vers le champ de bataille, j'aperçois la chevelure de blé de Lucens dépasser de la gueule du monstre ! Ce dernier l'engloutit ! Loen, dans un saut prodigieux, lui bondit dessus et l'attaque de toutes ses forces. Moi, parvenu enfin en haut du promontoire, j'allume avec une pierre de feu ce qui semble bien être un feu, un phare, une tour de guet... Un bateau de pirates est en contrebas de l'île ! Loen semble être venu à bout du serpent géant !
Vite, je redescends et nous découpons précipitamment le cou de l'immonde bête géante... Pour y trouver un Lucens dans un piteux état. Je souffle à Loen : "Il est mort ?". Mais les longs cils de Lucens papillonnent et me donnent la réponse : Lucens est bien vivant ! Au bord de la mort, épuisé, mais vivant ! Son corps a perdu énormément de sang, sa peau est livide, mais il est vivant ! Sa prêtresse a dû le protéger. Loen et Cwengu ont tué le serpent juste à temps !
Une course effrénée s'ensuit pour redescendre vers le bateau des pirates. Et fuir de cette île maudite.
Mais moi je voulais en savoir plus sur les nagas. Loen et moi y retournerons, après avoir négocié avec les pirates.
Nous y découvrirons l'horrible culte de Anan Takkal, qui voulait ramener à la vie des nagas. La transformation des prêtresses en créatures troglodytes, ces yeux qui nous épiaient dans les souterrains...
Et le pouvoir du kriss qui ramène le mal à la vie en flétrissant le bien.
Loen conservera cet objet maudit, malgré sa peur de se lier à lui et d'en subir l'influence néfaste.
Il me donnera un croc du serpent constricteur géant en signe de notre amitié et il conservera l'autre.
Je n'ai pas trouvé mon écaille de naga. Mais j'ai trouvé deux amis. Et une soif d'aventures.
Je suis Pangur Bán Futatoro. Je suis un chasseur.
Tant que l'homme n'est pas mort, il n'a pas fini d'être créé.
Herra'tat... J'arrive !