Remove these ads. Join the Worldbuilders Guild
Wed 29th May 2024 10:01

A bord du Céleste, destination la mort

by Pangur Bán Jowro Futatoro

A BORD DU CELESTE
Alors que le Céleste des Brumes avançait à toute vapeur au travers des plaines d’Heera’tat, en direction du Nord, je cherchais du réconfort.
Nous avions beaucoup discuté avec Arin. Nous l’avions même noyé sous les questions. Nous avions appris que notre prince Samay n’était pas le véritable frère d’Amellys. Qu’il avait été en quelque sorte « créé » pour ensuite se sacrifier. Pour ouvrir un portail. Un peu de sang de la lignée des Prakash devait être versé, pour accomplir le rituel. Sur les dessins trouvés dans les affaire d’Arin, ce n’était pas Samay, mais Mahan Prakash qui avait été dessiné. Samay devrait-il suivre la même voie ?
J’étais bouleversé.
 
Où es-tu, ma sœur à moi ? Ma Futatoro ? Es-tu seulement vivante ? Je conserve de toi cette armure de cuir, précieusement dans mon sac.
 
Ma famille était ici maintenant. Ils étaient dans ce wagon. Et peu importait mon passé. Peu importait celui de Samay. Celui d’Arin, décidément peu clair. Nous devions avancer. Et pour cela il nous fallait cette maudite écaille de Naga. Il y en avait justement à Clairfeuille. Plusieurs ! Moonie avait interrogé sa déesse. Nous irons. Nous les trouverons.
En attendant, j’avais besoin de réconfort. Tard dans la nuit, je me glissai hors de ma couchette pour explorer les couloirs du Céleste. J’avais choisi une cabine près des guerriers berbères et de leur chef le sculptural Jalel. Je n’avais pas abandonné l’idée de partager son corps, à défaut de partager sa langue. Il m’avait tout de même appris quelques rudiments de commun des profondeurs. Il y avait des similitudes avec le commun que nous parlions au quotidien. Mais pour l’heure je n’en avais pas besoin.
Des gémissements attirèrent mon attention. Ils ne venaient pas de la cabine de mon chef aux yeux de mandarine, mais de celle de Frey, le guerrier qui avait partagé ma tente au village des Terres Flétries. Après cette nuit, le valeureux guerrier à la peau d’épice m’avait plusieurs fois lancé quelques œillades qui m’avaient rougi les joues, malgré ma peau d’ébène. Frey n’était pas seul, mais peu m’importait. Je me glissai dans la cabine capitonnée de tissu rouge et de dorures et me laissai dévêtir de mes frusques de rôdeur par des mains expertes. J’en comptai six, auxquelles j’ajoutai les miennes afin d’explorer des corps musclés, celui de Frey mais aussi de ses deux compagnons dont je ne connaissais même pas les noms. La parole n’était d’aucune utilité lors de ces échanges, seul le langage des corps comptait, et nous en abusâmes pendant de longues heures. Alors que je prenais un peu de repos sur le sol confortable et molletonné de la cabine, dans une douce fatigue de plaisirs virils, deux nouvelles mains vinrent caresser ma poitrine. Dans un demi-sommeil, je n’avais pas entendu la porte de la cabine glisser. Elles étaient plus grandes, plus douces et pourtant plus viriles encore que les précédentes. Elles vinrent effleurer mes tétons et mon entrejambe avec une grâce infinie, ravivant mon désir que je pensais satisfait. A la lumière de la lune, j’entrevis leur couleur. Celle de la châtaigne.
 
 
JALEL
Homme du désert,
Courageux berbère
Aux cheveux de jais,
Au yeux orangés
 
Ta peau de châtaigne,
Ta chaleur, m’enseignent
L’amour héroïque
Un élan magique
 
Jalel, Jalel…
Sauras-tu m’entendre ?
Là, dans ton désert,
Mon désir est sincère.

 
Enfin mon ange berbère m’avait considéré. Enfin il avait cédé. Je lui avais cédé. Toutes les portes de mon corps et de mon âme, même les plus secrètes et fermées, avaient cédé. Il m’avait emmené dans sa cabine, me soulevant dans ses bras puissants. Il n’avait aucune jalousie de mes abandons auprès de ses guerriers. Juste du désir et de l’envie.
« Où est ta pierre de maîtrise tournoyant habituellement autour de ton large front ? » Il ne comprit pas ma question. Je la vis sa pierre de Tankata, parmi ses effets personnels, protégée par les étoffes écrues de sa tunique. Il avait appris à la désactiver pour se reposer. Cela facilita nos ébats qui durèrent toute la nuit.
 
LA MORT, LA VIE, DES GAFFES
Ces plaisirs exquis durèrent jusqu’à notre arrivée à Clairfeuille. Je crois que mon prince berbère m’aime. Et que je l’aime. Nous partagions de moins en moins la couche de Frey et des autres guerriers, nous plongions de plus en plus longtemps dans les yeux l’un de l’autre. Les quelques mots que nous avions en commun nous suffisaient pour nous comprendre. Puis les mots devinrent des phrases. « Nin pier te niveros ». Je ne veux jamais te perdre. Moi non plus.
Aussi, lorsque je trouvai mon homme aux prises avec ces infâmes duegars, un wagon entier de ces nains libidineux et toujours affamés à la peau grise, je le sauvai. Avec Moonie qui était venue prêter main forte. Les nains avides avaient voulu dérober la chevalière de Kay. Je m’interposai. Samay s’interposa. Les nains des profondeurs voulaient de l’argent, mais aussi de la nourriture. Je donnai aux cuisines la recette de mon ragoût de chèvre spécial « Futatoro » : quelques baies nourricières générées par la magie suffisaient à relever la chair fade des biquettes d’une délicieuse point d’acidité. Les créatures bêlantes ramenées de l’antre du naga corrupteur et chargées dans le Céleste, même transformées en délicieux ragoûts, ne suffirent pas tout à fait, cependant, à calmer toutes les envies des nains affamés. Il fallut que la délicieuse et provocante Moonie leur projetât des illusions, des créatures d’un érotisme torride effectuant des danses du ventre molles et lascives. Cela permit aux duegars d’épancher leurs désirs entre eux et de laisser en paix mon prince berbère à la pierre tournoyante. Quand nous arrivâmes à Clairfeuille, ils semblaient calmés. Je fis comprendre à Jalel qu’il devait rester avec Arin pour le protéger au cas où les nains libidineux et avides avaient un retour de flamme.
Clairfeuille était loin de ce à quoi nous nous attendions. La ville était en ruines. Dévastée. Des traces de sang au sol, reniflés par Cwengu, nous alarmèrent. Tout sentait la mort ici.
Nos espoirs de trouver une écaille de Naga parmi cette désoltaion étaient minces. Arin nous aurait-il menti ?
Il fallait de toute façon alimenter le Céleste d’un éclat de fanal. Nous étions bloqués.
Nous dûmes affronter de nombreuses créatures à Clairfeuille.
De terribles manteleurs qui se divisaient en trois et nous aspiraient la tête. Ma pauvre Cwengu en fit les frais.
Un immonde Glabbrezu, que je voulus condamner au silence. Je ne maîtrisais pas ce sort. Sa portée était bien plus imposante que je ne l’espérais. Le démon sorti de l’enfer était certes réduit à ne plus lancer de sorts, et mes compagnons non plus. Ils se retrouvèrent privés de leurs attaques les plus puissantes et me lancèrent des regards courroucés. Première gaffe.
J’avais aussi emmené le prêtre Geoffrey sur la terrasse du bâtiment. Pour lui montrer notre céleste, et notre bonne foi. L’individu au visage balafré avait en effet semblé choqué par la poitrine provocante de Moonie et par le culte de sa déesse de l’amour. Je l’abandonnai en haut du bâtiment pour rejoindre mes compagnons : Kay avait lancé un cri d’effroi ! Je le retrouvai aux prises avec un premier manteleur. Seconde gaffe.
En effet, une fois débarrassés des manteleurs, de leurs illusions et de l’infâme Glabbrezu, une fois l’éclat de fanal récupéré dans cet entrepôt, nous montâmes tous sur le toit afin de retrouver… des morts vivants ! Geoffrey s’était transformé. Et il n’’était pas seul ! Les hordes de ces créatures mortes affluaient. Et dans le ciel, deux Vrocks, des créatures ailées hideuses, tournoyaient. Ils emportèrent Khetot dans leurs serres et le lâchèrent au sol, au milieu des zombies. Ils firent de même avec Moonie qui reçut en plus d’infects spores de poison sur sa blanche poitrine immaculée.
Bran se lança à la rescousse de la prêtresse. Je lançai mes flèches sur les Vrocks. Qu’allions nous devenir ? Il nous fallait fuir. Mais comment ?
Même invisible, Moonie ne pouvait échapper à la horde de zombies qui reniflait son odeur enivrante.
Bran allait-il pouvoir la sauver ?
Et Khetot, très affaibli ? Le druide aux cheveux de feu allait-il succomber à ses blessures ?
Samay, Kay, mes amis, résistez !
Il nous fallait retourner au Céleste.
Il me fallait revoir Jalel…