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Mon 15th Jan 2024 01:10

La voie du milieu

by Samãy

Je n’étais pas d’humeur à écrire une lettre, ce soir la… Bien que le moment fût illuminé par la liesse et que mon spectacle improvisé eut l’heure de plaire aux enfants, en mon fort intérieur, je savais que je ne pouvais plus me cacher… Que cette espèce de cauchemar qui avait commencé avec le sang de mon père sur mon visage, qui s’était muté en rêve, parfois, alors que j’étais loin du théâtre sanguinolent de mes souvenirs, et qui revenait sans cesse, comme une maitresse jalouse, reprenant des airs de tragédie effrayante, ne me laisserait cette fois ci pas m’en tirer à si bon compte.
 
Je m’octroyai tout de même une fugue mentale, un de ces moments de bonheur si court et si irréel que je me demandai parfois si c’était vrai ou si mon esprit fragmenté l’avait inventé…
 
Des rayons de soleils réchauffant ma peau, tout aussi bien que le bras posé sur mon torse. Des pépiements, au loin, naïfs et simples, inconscients du mouvement perpétuel du monde, constant dans la mélodie universelle… J’étais seul depuis quelques mois, mon protecteur ayant disparu, probablement mort, alors que nous avions été attaqués. J’avais accepté sans sourciller la lâcheté de l’ordre qui m’avait été donné « fuis, gamin ! tu es plus important que moi ! » … Mes pieds ensanglantés le long des rues humides et sales, mes larmes d’hiver sur les joues, j’avais couru autant que je pouvais, jusqu’au bord de l’épuisement, et encore ensuite, dans l’herbe gelée, mettant le plus de distance entre nos agresseurs et moi, entre mon protecteur et moi… Bien après, faisant fis de toute prudence, j’étais retourné sur les lieux et j’avais trempé le bout de mon doigt tremblant dans le sang, au sol et sur les murs, ne sachant pas à qui il appartenait. Avec une conscience aigue de la cruauté de la vie, celle qui serait la mienne désormais, j’avais cherché d’autre traces, en vain, avant de faire le deuil de mon deuxième père…
 
Empruntant diverses identités, j’avais fui de ville en ville, volant pour subsister, cohabitant avec des rats et des gamins des rues, des chevaux dans les écuries, parfois, lorsque mon déguisement était suffisant, dans des draps de soie et de laines féérique, dans des bras agréables ou repoussants, féminins et masculins…
 
En de rares occasions, comme ce matin béni par les pépiements et les particules de chaleur printanière, je sentais la chaleur d’un autre corps désiré contre le mien. La douceur des gestes, la protection bienheureuse et l’envie de rester ici, lové contre ce corps chaud et vigoureux, jusqu’à la fin de ma vie. Addam, il s’appelait addam, et il serait, au même titre que mon shaktykion, mon refuge, un foyer bien aimant, réconfortant, même si ce n’était que souvenirs et regret. Il avait percé mes mystères, mon illusion et n’avait pas chercher à savoir pourquoi. Il m’avait offert une confiance et des bras, de la chaleur et du désir, et m’avait réconcilié avec ces sensations, doucement, jusqu’à ce que mes frémissements et mes frissons sur ma peau ne soient plus des peurs ataviques, vestiges de sévices et de souffrance, de la crainte, mais simplement de l’envie et du réconfort. Il avait compris ce que j’avais vécu, les abus que j’avais subis, pour survivre… Et bien qu’il n’ait point tiquer lorsque je lui avais menti sur mon nom, il avait compris que ça aussi c’était un artifice…
 
Aussi, au matin ou j’avais suffisamment retrouvé de « Samãy » et perdu de « Darell » le lâche, mon identité d’emprunt, je su que je ne le reverrai plus. Il me fallait assumer mon rôle, et protéger mon peuple, même si je devais pour cela monter sur le trône, non pas par choix mais par devoir… J’essayais sans être sur d’y parvenir de graver ses traits… Un visage à la mâchoire volontaire, des yeux aux cils soyeux, d’une étrange couleur bordeaux sombre, des cheveux sable, mordorés, courts, un corps athlétique, avec un fin duvet sur le torse les bras et les jambes et des mouvements agiles, fruit d’un entrainement à l’épée et à la magie… Je ne lui avais jamais parlé de mon pacte, je lui avait juste dit que je connaissais un tour, celui de me déguiser…
 
Je lui laissais un simple mot. « Merci pour tout. Merci de m’avoir permis de redevenir quelqu’un. J’essaierai d’en être digne. Samãy ».. révélant ainsi pour la première fois depuis ma fuite il y a de nombreuses années, ma véritable identité…
 
Je crispai la mâchoire à ce souvenir, sachant que ce soir, je réitèrerait cette marque de confiance. Alors que Gugnyk avait fini son entretien mystique avec Bran, ce dernier revenant heureux et avec cette foi dévorante dans les yeux, je fis signe à la prêtresse elfe noire, afin de réquisitionner un peu de son temps à mon tour.
 
Quelque chose me taraudait suite à la déclaration de Vellor, car il me souvenait effectivement avoir connu le grand mage Mohun Gazdar, et si ce gamin disait vrai, il était mort à présent… Un autre atout tombé dans un jeu de carte dont j’avais l’impression n’avoir qu’une main bien maigre. Qu’importe, le bluff était tout aussi efficace… Le bluff et les alliances…
 
Je lui parlai avec mon cœur, lui donnant une précieuse information, à savoir mon identité, et lui proposant une alliance contre un ennemi commun. Je n’imaginai pas être à la hauteur de mon ancêtre, mais elle sembla réfléchir à une prophétie, me rappelant qu’il avait uni les elfes, et accepta. Je restai assez noble, pour une fois, pour accepter sans sourciller le tatouage qui unirait dorénavant nos deux peuples.
La marque de kalee, sur mon épaule, me rendit étrangement fier et solennel. De nouveau, les petites étoiles dorées remplirent mon regard, remontant à la surface la saison qui m’était à la base intrinsèque : le printemps…
 
Même l’aveu émouvant de Moonie, alors que je crispai les poings face à tant d’injustice, ne comprenant que trop bien ce que c’était de devoir céder son corps contre sa volonté, ne parvint pas à me refaire basculer en hiver… Cependant nous lui promîmes, tous autant que nous étions, de l’aider à sortir de ce culte corrompu, privant de leur liberté ses pauvres prêtresse, avec à leur tête une dévoyée.Ma haîne, trop longtemps muselée, se forgea en une dague de glace et de cristal, et vint se ranger dans un tiroir dont le cadenas menaçait de se rompre, au sein de ma psyché. Si il devait sortir, ce serait peut être dans le cœur de cette garce tortionnaire.
 
Le matin du départ, ne sachant pas exactement pourquoi, je sentis que c’était le bon moment pour appeler un esprit pour veiller sur les enfants et notre troupe… Quand, grâce à l’aide de la prêtresse, je vis se former une idée, et que des plumes d’encre donnèrent des ailes à cette idée, je su que cette nouvelle amie était un peu de mon âme, et que je l’appellerai « PROM ». Promesse éclatante. Une étrange impression de déjà vu me parcouru l’échine, me donnant la sensation qu’elle me connaissait déjà, qu’elle avait déjà vécu mes périples, comme une présence réconfortante. Son regard insondable sembla s’illuminer d’un sourire moqueur quand je lui en fis la remarque…
 
Les lumières fantômes et les follets curieux nous accompagnèrent le long du chemin dans ces étranges grottes phosphorescentes. Elendil , Aridor, Beridor et Deltar nous accompagnaient et je ne pouvais que sourire de fierté en voyant leur propres tatouages, tout en sentant le mien sous l’étoffe cachant mon épaule.
 
Mon livre des ombres à la main, je notais, comme dans un journal intime, ce que je voyais, ce que je sentais, ce que j’imaginai. Les créatures étranges, les gardiens, le sol et les motifs…. Peut être prenais-je le risque de leur donner du pouvoir, en utilisant ainsi mon livre, mais je sentais au fond de moi que c’était la chose à faire… Il y avait une certaine lucidité sur mes chances de survie, et je voulais au moins un témoignage et des pistes à suivre si je ne devais pas aller jusqu’au bout du chemin, afin de donner une chance à notre peuple, tout entier, humain, elfes et autres, de survivre face au fléau. Un coup d’œil en arrière me montra le visage lumineux et fier de Velor, la timidité de Thai et l’effronterie de Hennie, mais, plus préoccupant, la mémoire défaillante de Rufus, qui semblait s’évaporer comme la fumée d’opium dans certains bouges que j’avais connu.
 
Guidé par Kai, Bran et l’étrange conseil de la prêtresse, nous suivîmes systématiquement la voie médiane, ce qui étrangement reflétait beaucoup mon état d’esprit depuis quelques années. Dans les nuances de gris, les couleurs sont d’autant plus éclatantes… Des trois portails entourés de runes que kai nous montra, nous choisîmes celui du milieu, après que j’eusse pu traduire leur signification en langage primordial.
Ce langage semblait faire partie de moi depuis mon pacte.
 
Après une idée brillante de Bran, nous franchîmes le portail, de la nourriture sacrifiée dans des braseros éternels, mais je blêmis en voyant ce que nous devions traverser, la chaleur de la lave et du précipice, et l’espoir et la peur dans les yeux des enfants, étant chacun à leur façon plus difficile à soutenir.
Le frisson était depuis longtemps parti, mais l’image rémanente de la panthère qui avait faillis mutiler kai restait, elle, bien présente.
 
Bran trouvât une solution pour nous faire traverser, et, alors qu’il était de l’autre côté, je pris sur moi pour être le suivant, accompagné de Velor. Ce dernier fit preuve de courage, mais aussi d’impatience, et lorsque Kethot nous fit voir nos ennemis, il était déjà en train d’aller bien trop loin. Je me notai pour plus tard qu’il fallait que j’ai une conversation sérieuse avec lui. Je n’eut pas le temps d’avoir honte de ma propre maladresse, Velor ayant crié de terreur, les diables accrochés à la paroi, en hauteur, commencèrent leur ballet mortel dirigé vers nous… Le combat fit rage, Bran au prise avec un cerveau sur pattes, les elfes tirant des salves de flèches, accompagnant mes propres décharges occultes… Une main posée devant Velor pour le protéger, je me demandai si cela suffirait. Finalement le calme retomba, plus vite que mon rythme cardiaque, et quand nous parvînmes de l’autre côté, ce fut avec la triste nouvelle : nous avions perdus de valeureux elfes… Je me sentis responsable, étant maintenant lié à eux. Mon regard coupable ne s’attarda pas longtemps sur le frère jumeau de la victime, de peur d’y voir mon incompétence. Plus loin, ce qui ressemblait vraiment à un traquenard, ,dont les victimes était encore une fois des elfes noirs, je vit kai bondir à l’assaut de ce qui s’avéra être un gobelin, ce dernier appelant nombre de ces congénères en renfort…
 
Avec mes maigres ressources, je tissais un mensonge visuel autour des enfants pour les inclure dans le décor de roche, pendant que nos assaillants faisaient des ravages… Les pertes de nos nouveaux alliés s’alourdirent, tout comme mon âme, quand le calme revint, notre répugnant prisonnier nous avouant qu’ils capturaient des elfes pour les réduire en esclavage jusqu’à épuisement, puis les dévoraient sans ménagement…
 
Un regard dans les yeux miroirs de Bran me confirma ce que je savais déjà. Nous irions les délivrer, coute que coute… Dans les écrits, devenir un héros est beau, les cheveux volent au ralenti dans le vent et les protagonistes sont désirables, auréolé de gloire. Cela ne me consola pas, ni n’effaça mes brulures, écorchures, traces nauséabondes sur mes vêtements souillés. J’eu peur. Pas pour moi, trop inconscient pour l’être, mais pour les enfants, qui n’en finissait pas de vivre ce cauchemar… J’avais à peine trouvé la force de survivre à ces années d’exil et de sévices, je ne voulais pas que ces trois la soient à ce point traumatisé… Nos ressources occultes étaient exsangues, mais notre détermination s’était réchauffée de lave et de rage..